Luuk van Middelaar, né en 1973 à Eindhoven aux Pays-Bas, est un philosophe et historien néerlandais, spécialiste des questions européennes. Professeur à l'Université de Louvain-la-Neuve, en Belgique, et de Leyde, aux Pays-Bas, il tient également une chronique hebdomadaire dans le grand quotidien hollandais NRC Handelsblad. Il a travaillé au Parlement de La Haye pour le Parti populaire pour la liberté et la démocratie (VVD) - de tendance libérale-conservatrice - et, de 2002 à 2004, au cabinet de son compatriote Frits Bolkestein, ancien commissaire européen au Marché intérieur, avant de devenir la « plume » de l'ex-président du Conseil européen, le Belge Herman van Rompuy, de 2010 à 2014.
Luuk van Middelaar, dont les idées sont proches de celles d'Hubert Védrine, estime que l'Union européenne aurait tort de négliger l'avertissement britannique. Il pointe la montée des courants anti-européens, déplore l'affaiblissement de la France et souhaite que le Conseil européen joue pleinement son rôle face à la Commission de Bruxelles afin de mieux concilier ouverture et protection.
B. B.
Baudouin Bollaert - Que nous apprend le Brexit sur les dysfonctionnements de l'Union ?
Luuk van Middelaar - Il nous en apprend sans doute plus que ce que l'on voudrait entendre... Il y a d'emblée trois attitudes à éviter : d'abord, penser que le résultat du référendum est dû à l'insularité, au caractère des Britanniques, aux mensonges des partisans du Brexit, etc. Ensuite, continuer comme avant, faire du business as usual, sans tenir compte de l'avertissement. Enfin, se dire qu'une fois les Britanniques partis tout sera plus facile...
B. B. - Ce n'est pas vrai ?
L. v. M. - Non, pour une raison très simple : les grandes crises qui secouent l'UE depuis 2008 sont avant tout celles de l'euro et des réfugiés. Or les Britanniques ne sont ni dans la zone euro ni dans l'espace Schengen ! Donc, ce n'est pas l'obstacle britannique qui empêche les autres pays de l'Union d'avancer dans ces domaines. Le départ du Royaume-Uni de l'échiquier européen ne change rien à cette situation. Les Vingt-Sept se trouvent confrontés aux mêmes problèmes qu'hier. En ce sens, le Brexit n'est pas une libération.
B. B. - D'autant que l'euroscepticisme gagne du terrain partout en Europe...
L. v. M. - En cas de référendum sur la sortie de l'euro, quatre ou cinq autres pays afficheraient probablement les mêmes résultats qu'au Royaume-Uni. En France, aux Pays-Bas ou en Autriche, pour ne citer qu'eux, la méfiance envers l'Union européenne est forte. Elle progresse aussi en Allemagne. L'Europe telle qu'elle s'est construite depuis soixante ans avec son grand marché, ses règles de concurrence et la suppression des frontières ne profite, en gros, qu'à 50 % de la population. Cela signifie que les 50 % restants se sentent floués.
B. B. - Quels sont ceux qui continuent à aimer l'Europe ?
L. v. M. - Les jeunes, en premier lieu. On le voit très clairement dans le vote britannique avec un écart de 20 % par rapport aux électeurs plus âgés. Et, d'une manière générale, les entreprises, les riches, les diplômés, ceux qui parlent plusieurs langues, etc. Ils profitent à plein des avantages que leur procure l'UE.
B. B. - Et qui trouve-t-on dans le camp d'en face ?
L. v. M. - On trouve les gens qui ne bénéficient pas des mêmes opportunités, qui souffrent de la concurrence du plombier polonais ou de la venue du migrant syrien et qui vivent l'ouverture non comme une chance mais comme une menace. Sans verser dans la sociologie facile, il s'agit généralement de personnes moins aisées, plus âgées et moins diplômées...
B. B. - Ces deux catégories sont-elles d'égale importance ?
L. v. M. - À peu près. Le problème vient de ce que l'UE ne travaille que pour les 50 % qui en tirent profit. Pour éviter une dangereuse fracture, elle doit tendre la main à l'autre moitié. Sinon, l'infériorité numérique des pro-européens se creusera en quelques années. Parallèlement à l'Europe des libertés, il faut construire une Europe de la protection …
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