Les Grands de ce monde s'expriment dans

Les grands et l'espace

Philippe Grangereau - Pékin a posé un robot sur la Lune en 2013 et a annoncé son intention d'envoyer une sonde sur la planète Mars avant la fin de la décennie. La Chine est-elle LA grande puissance spatiale montante ?
Isabelle Sourbès-Verger - La Chine s'apprête à devenir une puissance spatiale, c'est évident. Elle est déterminée à acquérir la totalité des compétences nécessaires à des échéances qui lui paraissent compatibles avec ses autres priorités. Des rumeurs font même état d'un projet de base lunaire habitée, mais rien n'est encore certain. Pour l'instant, aucun programme chinois ne l'annonce officiellement. Le spatial est pour les Chinois un outil qui leur permet d'étaler leur savoir-faire technologique et militaire dans le domaine des missiles. Ils veulent montrer les prouesses dont ils sont capables, ne serait-ce que pour dissiper cette perception tenace d'une Chine « arriérée ».
Mais s'il s'agit d'établir une hiérarchie qui tienne compte des différents aspects de la puissance spatiale, la Chine se situe encore très loin derrière les États-Unis et même après la Russie, l'Europe et le Japon. Tout dépend du point de vue où l'on se place. Si l'on considère le niveau technologique, le Japon a accompli des avancées spectaculaires : il a par exemple été le premier, en 2010, à rapporter sur terre des échantillons d'astéroïdes. Mais il fait peu parler de lui parce qu'il n'a pas choisi de faire du spatial le socle d'une ambition géopolitique, en raison de son passé militariste qui l'incite à rester sur la réserve. Pour Tokyo, c'est avant tout une vitrine technologique, pas un outil de puissance. Comme pour l'Inde d'ailleurs, qui a conçu ses activités spatiales autour d'un but prioritaire : le développement. La Russie, en revanche, s'est abondamment servie du prestige qu'elle retire de la conquête de l'espace ; et ce n'est pas fini car Vladimir Poutine semble y voir un potentiel. Le plan de stratégie spatial russe 2016-2025 prévoit d'envoyer des hommes sur la Lune et d'y construire une base.
P. G. - Le prestige inhérent au spatial sert-il à légitimer le pouvoir de Pékin ?
I. S.-V. - La Chine est devenue en 2003 la troisième puissance spatiale à envoyer un homme dans l'espace, et la fierté nationale qui en découle contribue certainement à la légitimation du pouvoir. Pas plus, cependant, que lorsque le pays s'est doté du TGV le plus rapide au monde. Après tout, il s'agissait de faire en 2003 ce qu'on faisait déjà en 1961 ! Néanmoins, les Chinois se sont lancés dans le spatial habité parce qu'il n'y a que deux pays qui s'y sont risqués avant eux : les États-Unis et la Russie, ce qui confère à cette activité un caractère d'exception.
Nous, Européens, ne sommes pas autonomes dans le domaine du spatial habité. L'Agence spatiale européenne n'a jamais développé de vaisseau ni de lanceur. Ce n'est pas une question de coût ; c'est simplement que cela n'a pas de sens. En revanche, pour les Chinois, qui se sont véritablement impliqués dans le spatial …