Les Grands de ce monde s'expriment dans

Quand la chine se réformera...

Mathieu Bouquet - Alors qu'elle avait été relativement épargnée par les secousses de la crise économique mondiale qui a débuté en 2008, la Chine connaît depuis 2010 un ralentissement continu de sa croissance. Assistons-nous aux premiers signes d'une crise du modèle chinois ?
Jean-Luc Domenach - Avant toute chose, je dois vous rappeler que nos informations sur l'état réel de l'économie chinoise sont extraordinairement insuffisantes. La propagande officielle prétend que la croissance est d'environ 6 %. Certains observateurs occidentaux prennent ce chiffre pour argent comptant ; selon moi, ils font preuve d'une grande naïveté. En effet, parmi les experts chinois, les plus fiables sont souvent plus pessimistes : figurez-vous que, quand je discute avec eux de façon discrète, certains me disent que la croissance est de 2 % tandis que d'autres affirment qu'elle est trois fois plus élevée...
M. B. - Qui croire ?
J.-L. D. - L'informateur le plus fiable à mes yeux est... un épicier du quartier où j'habitais à Pékin ! Je suis resté en contact téléphonique avec lui. Il estime mais, comme on dit, « au doigt mouillé » que la croissance se situe aux alentours de 4-5 %. Pourquoi ce chiffre ? Quand je lui pose la question, il répond : parce qu'une croissance inférieure déclencherait d'énormes révoltes dans les zones de Chine les moins favorisées. Pour n'importe quel pays du monde, un tel rythme serait loin d'être catastrophique. Mais, pour la Chine, il marque le début de la fin du miracle, après des décennies de taux de croissance à deux chiffres.
C'est une évidence, mais il faut la rappeler : ce ralentissement de la croissance reflète un déclin. Et, bien que le premier ministre Li Keqiang soit un admirable économiste, les autorités ne parviennent pas à enrayer ce déclin. Il est probable que, dans les prochaines années, le taux de croissance va continuer de baisser - mais le gouvernement cherche à adoucir la pente et à habituer la population ; et il le fait intelligemment.
M. B. - Cette évolution demeure-t-elle cantonnée au monde économique ou a-t-elle des effets sur la société et la politique chinoises ?
J.-L. D. - Les chiffres que je viens d'évoquer ont des conséquences sociales considérables. C'est une banalité de le dire, mais les Français ne le savent pas : des pans entiers de l'économie chinoise, qui comprennent énormément d'emplois, sont aujourd'hui en voie de dépérissement, comme l'industrie charbonnière ou la sidérurgie. Dans le même temps, les industries d'exportation que sont le textile ou l'électronique grand public, qui ont fait le triomphe de l'économie chinoise grâce à une main-d'oeuvre bon marché, connaissent elles aussi de profonds bouleversements. Le coût de la main-d'oeuvre a augmenté et la machine exportatrice chinoise n'est plus aussi efficace à l'étranger qu'au cours des deux ou trois dernières décennies.
Lorsque j'habitais à Pékin, il y a quelques années, j'ai touché du doigt, sur le pavé de mes promenades, ce que c'était qu'être un travailleur dans la Chine d'aujourd'hui. Les Chinois que je rencontrais me racontaient …