Sir Richard Dearlove a dirigé le service de renseignement extérieur de Sa Majesté (MI6) de 1999 à 2004, couronnement d'une longue et brillante carrière au sein de cette institution. Dans l'un de ses plus récents ouvrages, George Tenet, ancien directeur de la CIA, le décrit comme l'espion des espions, « the spies'spy ».
Cet homme qui peut aussi bien se montrer affable dans une conversation qu'hermétique devant un microphone a commencé par exercer ses talents en Afrique, en 1966. Puis il passe rapidement derrière le Rideau de fer, où il bâtit sa réputation, devenant l'un des responsables du renseignement les plus habiles de la guerre froide. La carrière de Sir Richard le conduit en 1991 à la tête de l'antenne de Washington du MI6. Son bureau se trouve à quelques centaines de mètres de la Maison-Blanche où réside alors le président George Bush père, lui-même ancien directeur de la CIA, qu'il rencontre régulièrement. Il continue à gravir les échelons jusqu'à devenir « C » (le surnom du patron du MI6 dans les cercles gouvernementaux britanniques). Un poste qu'il occupe entre 1999 et 2004 - des années charnières où Sir Richard pilote une restructuration profonde des services pour mieux contrer la menace terroriste.
Entre 2004 et 2015, l'ex-maître espion a été directeur du Pembroke College à Cambridge. S'il est toujours, aujourd'hui, un observateur avisé des affaires du monde, un conseiller de plusieurs multinationales et un interlocuteur privilégié de nombreux chefs d'État et acteurs internationaux, il n'avait jamais donné d'interview au long cours. Il a accepté de se prêter au jeu et offre ici à Politique Internationale un entretien de fond où il dévoile sa perspective unique sur une planète qui n'a pas de secret pour lui.
B. A.
Brigitte Adès - Sir Richard, vous avez provoqué un tollé général pendant le débat sur le Brexit en déclarant que, quelle que soit l'issue du référendum, la sécurité du Royaume-Uni ne serait pas affectée. Comprenez-vous que cette prise de position ait pu étonner certains observateurs ?
Richard Dearlove - Je parlais de mon domaine, celui des services secrets. Pour ce qui concerne la sécurité nationale, elle n'a jamais dépendu de l'appartenance du Royaume-Uni à l'Union européenne. Je tenais à rétablir la vérité. Dans notre métier, nous ne fonctionnons pas à vingt-huit, mais à travers les rapports bilatéraux entre pays. Tous les agents du renseignement, à tous les échelons, le savent : il est inenvisageable d'échanger des informations sensibles au niveau de l'UE. Aucun pays, aucun agent, ne voudrait risquer la vie de ses sources en les partageant avec vingt-huit États ! Tout au plus, des rapports trilatéraux peuvent survenir à l'occasion - mais, dans ce cas, le pays qui fait passer une information doit demander au pays dont cette information émane l'autorisation de partager les données avec un tiers.
B. A. - Parlons donc des relations bilatérales. Quel jugement portez-vous sur les relations qu'entretiennent les services secrets français et britanniques ?
R. D. - De tous les pays d'Europe, c'est avec la France que nous coopérons le plus étroitement. Et cela, depuis de nombreuses années. La France possède l'un des services de renseignement et de sécurité parmi les plus performants du monde.
B. A. - Si tel est le cas, comment expliquez-vous que la France n'ait jamais été conviée à rejoindre les « Five Eyes », cette alliance des services de renseignement de l'Australie, du Canada, de la Nouvelle-Zélande, du Royaume-Uni et des États-Unis considérée comme le gotha des services secrets ?
R. D. - Les membres des « Five Eyes » sont tous anglo-saxons. La France ne peut en faire partie. Cependant, la France entretient des relations bilatérales extrêmement étroites avec chacun des pays membres des Five Eyes, à l'exception peut-être de la Nouvelle-Zélande qui est elle-même traitée différemment par nous autres, du fait de sa loi anti-nucléaire passée en 1987 qui empêche les bâtiments à propulsion nucléaire ou équipés d'armes nucléaires de séjourner dans ses eaux territoriales (1).
B. A. - Comment la connivence du Royaume-Uni avec la France se traduit-elle, concrètement ?
R. D. - Traditionnellement, nos deux pays coopèrent bien plus qu'on ne l'imagine sur les questions de sécurité nationale et de contre-espionnage. Avant d'être nommé chef du MI6, j'étais en poste à Paris et j'ai personnellement constaté que nos rapports avec les dirigeants des services français étaient extrêmement positifs. Une grande confiance règne entre nous. Certains de mes interlocuteurs étaient des individus exceptionnels : je pense, notamment, à Jean-François Clair et à Raymond Nart de la DST, ou à Michel Lacarrière de la DGSE... Ils ont tous continué leur carrière brillamment : Jean-François Clair est devenu inspecteur général de la police nationale et a dirigé le contre-terrorisme en France pendant de nombreuses années. Lacarrière a …
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