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Corée du Sud : le printemps dès l'hiver

Connue pour son féminisme comme pour son esprit mordant, Françoise Giroud aimait à expliquer que « la femme serait vraiment l'égale de l'homme le jour où, à un poste important, on désignerait une femme incompétente » (1). Boutade ? La formule s'applique étonnamment bien à la crise politique qui, depuis le mois d'octobre, secoue la Corée du Sud. Car après deux mois de révélations et de scandales quasi quotidiens, le doute n'est plus permis. Park Geun-hye, la vestale impavide qui était parvenue à se faire élire à la présidence en décembre 2012, n'est finalement qu'une marionnette inconséquente et frivole, barbotant au gré des circonstances dans un marigot de maladresses et de compromissions.
La réaction est à la mesure de la déception. Les Coréens entendent désormais refermer la page Park avec la même fougue qu'ils l'avaient ouverte quatre ans plus tôt. Le 29 octobre, cinq jours après les premières révélations de la chaîne JTBC (2), ils étaient déjà 30 000 à manifester avenue Séjong, au coeur de Séoul, en scandant : « Park Geun-hye démission ! » Une semaine plus tard, le 6 novembre, ils étaient 200 000 ; et un million le 12. Après un léger fléchissement le 19 - 600 000 manifestants seulement - qui laissait penser à un essoufflement, le mouvement est reparti de plus belle. Ils sont près de 2 millions à manifester le 26 novembre, dont 400 000 en province, et 2,2 millions le 3 décembre dont 1,6 million à Séoul. Depuis les gigantesques marches de l'été 1987 qui avaient eu raison du régime militaire, on n'avait jamais vu une telle mobilisation.
Pour endiguer le mouvement, la présidente Park a tout essayé. Après s'être murée dans un silence blessé, elle a cherché à biaiser en proposant une réforme constitutionnelle. Puis elle limogea ses trois plus proches conseillers et suggéra même de remplacer son premier ministre, le très conservateur Hwang Kyo-ahn, par une personnalité de gauche. Jouant la montre pour tenir la justice à distance, elle s'est engagée à se retirer en avril 2017. Mais rien n'y a fait. Prenant enfin la mesure de la crise, elle s'est résolue à présenter des excuses publiques, n'hésitant pas à verser quelques larmes de circonstance (3). Elle s'est aussi risquée dans le Kyongsang, la province du Sud-Est qui, jusqu'ici, l'avait toujours plébiscitée. Mais même ce fief historique s'est dépris de son idole et n'a pas hésité à la huer le 1er décembre, quand elle y a fait une timide apparition. Avec un taux inférieur à 4 %, Park Geun-hye jouit désormais du triste privilège d'être le chef d'État le plus impopulaire de toute l'histoire de la Corée du Sud depuis sa proclamation en 1948.
Faute de se démettre, il ne lui restait plus qu'à se soumettre. C'est ce qu'elle a fait en annonçant qu'elle se rangerait à la décision du Parlement. Elle n'avait à vrai dire guère le choix. Les députés, quant à eux, n'ont pas barguigné. Le 9 décembre, ils ont voté sa destitution (impeachment) à la majorité écrasante …