Les Grands de ce monde s'expriment dans

Diplomatie européenne : l'importance d''être constant

Federica Mogherini, 43 ans, mariée et mère de deux filles, est depuis le 1er novembre 2014 - et pour cinq ans - la Haute représentante de l'UE pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité et vice-présidente de la Commission européenne. Cette Italienne bûcheuse et vive d'esprit succède à ce poste difficile à la Britannique Catherine Ashton et à l'Espagnol Javier Solana.

Diplômée de sciences politiques à l'université de La Sapienza (Rome), après un séjour Erasmus à Aix-en-Provence, elle parle couramment l'anglais, le français, l'espagnol et est l'auteur d'un mémoire sur les rapports entre religion et politique dans l'islam.
L'engagement politique de Federica Mogherini débute en 1988 lorsqu'elle adhère aux Jeunesses communistes. La jeune femme rejoint ensuite l'organisation de jeunesse du Parti démocrate de la gauche (né de la scission du Parti communiste italien en 1989) qui se transforme en Démocrates de gauche (DS) en 1998. En 2001, elle en intègre les instances dirigeantes. Après la création du Parti démocrate (PD) en 2007, elle rejoint le cabinet de son nouveau secrétaire Walter Veltroni.
À 35 ans, en 2008, elle est élue pour la première fois à la Chambre des députés. Elle accède au poste de secrétaire de la commission de la Défense et participe aux délégations italiennes pour l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et de l'Union de l'Europe occidentale (UEO).
Réélue en 2013, elle siège dans les commissions des Affaires étrangères et de la Défense, mais également au sein de la délégation italienne auprès de l'assemblée parlementaire de l'Otan, dont elle obtiendra la présidence. En décembre 2013, le nouveau secrétaire du parti, Matteo Renzi, nomme Federica Mogherini au bureau exécutif national, en charge des questions européennes. Devenu président du Conseil, il la propulse le 22 février 2014 au poste de ministre des Affaires étrangères, où elle ne reste que six mois. Après son succès aux élections européennes de mai 2014, Matteo Renzi pousse en effet sa candidature à la tête de la diplomatie de l'UE. Un choix approuvé par le Conseil européen du 30 août 2014, malgré les réticences de certains pays d'Europe de l'Est qui craignent son manque de fermeté vis-à-vis de la Russie de Vladimir Poutine. « Femme, jeune, italienne, compétente », avait tweeté à l'annonce de sa nomination le porte-parole de Matteo Renzi.
À la tête d'un service de 3 485 diplomates, administrateurs, experts, agents contractuels dont 1 551 sont à Bruxelles et 1 934 dans les délégations de l'UE à l'étranger, avec un budget annuel de plus de 500 millions d'euros, Federica Mogherini incarne avec charme et fermeté le centre de gravité diplomatique européen. Et ne veut certes pas entrer dans une logique de confrontation tous azimuts avec Moscou, Téhéran et, encore moins, Ankara...
B. B.

Baudouin Bollaert - Vous êtes en fonctions depuis deux ans. Quel premier bilan pouvez-vous tirer de votre action ?

Federica Mogherini - Quand j'ai commencé, tout le monde m'a mise en garde : « C'est un travail impossible ! » Mais ce n'est pas le cas. Le traité de Lisbonne (1) m'attribue un large éventail de compétences. Je suis à la fois vice-présidente de la Commission, présidente du Conseil des ministres (Affaires étrangères, défense, développement), invitée au Conseil européen et chef de l'Agence européenne de défense (2). En outre, je consacre beaucoup de temps au Parlement européen. Je suis peut-être ainsi la mieux placée pour rapprocher les points de vue au moment où l'Europe semble affronter une crise d'identité.
B. B. - La collaboration entre les ministères des Affaires étrangères des États membres de l'Union est-elle à la hauteur de vos attentes ? Ces « vieilles boutiques », pour reprendre l'expression de Simone Veil, vous apportent-elles leur soutien ?
F. M. - Oui, ce soutien est réel. Même du côté britannique, et malgré le Brexit ! L'idée n'est pas de parler d'une seule voix car notre richesse est d'en avoir plusieurs. Le but est de faire émerger une ligne d'action commune à vingt-huit. À la base, il y a toujours un ensemble d'analyses et de propositions concrètes que l'on partage. Je demande à mes collègues non pas de me laisser faire, mais de travailler avec moi. Nous organisons de nombreuses missions communes - notamment en Afrique sur les dossiers migratoires - auxquelles je ne participe pas nécessairement. Je veux que les ministres concernés comprennent que l'Union européenne, c'est aussi eux, et que je ne suis pas la seule à la représenter. Le fait que j'aie été moi-même ministre des Affaires étrangères est, je crois, un atout dans mon travail. Le jeu d'équipe et la recherche de l'unité donnent des résultats. Juste après le référendum sur le Brexit, par exemple, nous avons adopté à vingt-huit un plan ambitieux pour la défense européenne...
B. B. - En quoi consiste-t-il ?
F. M. - Les institutions européennes, en partenariat avec l'Otan, ont préparé un « paquet » qui a été approuvé le 15 décembre dernier par le Conseil européen. Il comporte trois piliers : d'abord, le Fonds européen pour la défense qui a une compétence particulière en matière d'industrie et de recherche et qui soutient la coopération entre les pays membres. Ensuite - deuxième pilier -, la « stratégie globale » en matière de défense et de sécurité de l'UE que j'ai dévoilée en juin. Nous voulons, par exemple, encourager des coopérations entre les pays qui le désirent dans le cadre de l'Union. Ce qui signifie qu'ils pourront compter sur les instruments, notamment financiers, dont nous disposons. Il s'agit aussi de déployer ces forces de réaction rapide dont on parle depuis dix ans sans jamais s'en servir. Compte tenu du délai de réaction des forces de l'ONU, ces « battle groups » européens seraient très utiles en Afrique par exemple - la France …