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Afrique du Sud : le crépuscule de l'ANC

L'Afrique du Sud, 53 millions d'habitants (dont 79 % de Noirs), locomotive économique d'un continent frappé par la récession, est secouée depuis l'arrivée de Jacob Zuma au pouvoir, en 2009, par plus de trois émeutes par jour. La population, pauvre à 42 %, avec 27 % des actifs au chômage, réclame des services publics plus efficaces (eau, électricité, logements). La contestation grandit également au sein de l'ANC, à l'encontre de Jacob Zuma - un président dont le premier mandat (2009-2014) a été marqué par de sombres affaires de corruption (1). Après un long bras de fer avec la médiatrice de la République Thuli Madonsela - une juriste devenue une véritable héroïne aux yeux de l'opinion sud-africaine -, le chef de l'État a été contraint, en septembre 2016, de rembourser 7,8 millions de rands (480 000 euros) de deniers publics indûment dépensés pour la rénovation de sa résidence familiale privée de Nkandla, un village de sa province natale du Kwazulu Natal.
Incapable de se renouveler sur le plan générationnel, l'ancien mouvement de libération nationale reste aux mains des apparatchiks formés à l'époque de la lutte contre l'apartheid. Le magnat minier Tokyo Sexwale, l'industriel Cyril Ramaphosa, actuel vice-président de la République, et Kgalema Mothlanthe, son prédécesseur au même poste, incarnent au mieux les espoirs déçus, au pire la collusion entre les élites politiques et la nouvelle bourgeoisie noire.
Du coup, peu d'alternatives crédibles se font jour dans la perspective de la présidentielle de 2019. Jacob Zuma tente d'imposer à sa succession son ex-épouse Nkosazana Dlamini-Zuma, ancienne ministre des Affaires étrangères sous Thabo Mbeki (1999-2009) et présidente sortante de la Commission de l'Union africaine (2), où elle n'a guère brillé par ses résultats. L'objectif de la manoeuvre est clair : il consiste à protéger le clan Zuma d'éventuelles poursuites en justice. Jacob Zuma risque, en effet, de voir les plaintes se multiplier contre lui. Bien des scandales couvent en raison de ses liens privilégiés avec la famille Gupta, des industriels sud-africains d'origine indienne accusés d'avoir interféré dans les nominations de ministres et de directeurs de grandes entreprises publiques. Tout se jouera lors du prochain congrès de l'ANC, prévu pour la fin 2017. Le jeu reste ouvert et le suspense entier sur le mouvement de fronde qui pourrait prévaloir contre l'actuel président. Ce dernier risque d'être poussé à la démission avant la fin de son mandat actuel (2014-2019), comme son prédécesseur Thabo Mbeki qui, désavoué par la base de son parti lors du congrès de l'ANC à Polokwane fin 2008, avait dû se retirer.
Face à un ANC en perte de vitesse, l'Alliance démocratique (DA), le principal parti d'opposition sud-africain, ne cesse de gagner du terrain. Majoritairement blanche et métisse (3), la DA gère la ville du Cap depuis 2006 et la province du Cap occidental depuis 2009. Elle a réalisé une percée remarquée lors des élections municipales d'août 2016. Avec 26,5 % des voix contre 54 % au Congrès national africain (ANC), elle a remporté trois grandes métropoles : Johannesburg, Tshwane et Nelson Mandela Bay (anciennement Pretoria et Port-Elizabeth).
À la tête de la DA depuis mai 2015, Mmusi Maimane (36 ans) incarne un renouvellement profond des élites politiques. Diplômé de psychologie, titulaire de deux maîtrises - l'une en administration publique, l'autre en théologie -, il appartient à une génération prête à ne rater aucune occasion. Entrepreneur, il a créé une société de conseil en gestion. Prêcheur, il officie dans une église évangélique où il a rencontré sa femme, Natalie, une Sud-Africaine blanche. Polyglotte, il parle six des onze langues nationales, et interpelle le président Jacob Zuma au Parlement en isizoulou. Né à Soweto, un township de Johannesburg considéré comme la capitale noire de l'Afrique du Sud, il s'est d'abord fait un nom dans sa ville, avant d'être nommé porte-parole, puis chef du groupe parlementaire d'un parti qu'il a contribué à déracialiser (4). Un signe de bonne santé dans l'une des plus jeunes démocraties du continent, dont les citoyens n'ont librement voté pour la première fois de leur histoire que le 27 avril 1994...
S. C.

Sabine Cessou - On vous appelle parfois le « Barack Obama de Soweto ». Ce surnom vous convient-il ?
Mmusi Maimane - La contribution de Barack Obama à la démocratie américaine n'a pas été négligeable, bien que son ampleur reste à évaluer. Cela dit, s'il faut absolument comparer, disons que nous voulons, nous aussi, comme l'a voulu Obama, changer notre pays. Mais je préfère me concentrer sur notre programme et nos priorités.


S. C. - Pour quelles raisons vous êtes-vous intéressé à la politique ?
M. M. - J'ai toujours eu une passion profonde pour mon pays. Et j'ai toujours été engagé dans des activités liées de près ou de loin à la politique. À Soweto, là où j'ai grandi, je dirigeais une ONG qui distribuait de la nourriture aux plus démunis. Je me disais que si le gouvernement était incapable de le faire, c'est qu'il était temps d'en changer. Les Sud-Africains vivent dans des conditions inacceptables. Je fais de la politique parce que la moitié d'entre eux sont pauvres et sans emploi.


S. C. - Le pays est-il toujours aussi divisé sur le plan racial ?
M. M. - À en croire les réseaux sociaux, l'Afrique du Sud serait un pays raciste. C'est faux. Le problème majeur, c'est la persistance des inégalités. C'est le fait que les pauvres sont majoritairement noirs. Comment inclure dans le système économique tous les Noirs qui en sont aujourd'hui exclus (5) ? Voilà la grande question. Les gouvernements de l'ANC ont passé leur temps à attirer l'attention sur les incidents racistes qui ponctuent la vie publique. Il est évident que les dérapages doivent être condamnés, mais l'essentiel est ailleurs. Selon le dernier recensement, qui date de 2011, les ménages blancs gagnent six fois plus que les ménages noirs. À mon sens, la vraie bataille porte sur l'éducation. Si vous êtes blanc, vous avez toutes les chances d'accéder à des formations de qualité. Si vous êtes noir, vous restez dans un système public qui vous laisse au bord de la route.


S. C. - Le fossé qui existe entre ceux qui ont connu l'apartheid et les « born free », nés après le démantèlement des lois ségrégationnistes en 1991, a-t-il un impact sur la vie politique ?
M. M. - Bien sûr. Mais ce fossé joue à notre avantage : les jeunes contribuent à faire passer l'idée qu'on ne doit pas rester marié à l'ANC pour les beaux yeux de l'ANC... On l'a vu à travers le mouvement « Fees must fall » (les droits d'inscription doivent baisser). Ces étudiants, qui manifestent depuis septembre 2016 pour obtenir une baisse des frais d'inscription universitaires, ne veulent plus de l'hégémonie de l'ANC. Notre tâche est de faire en sorte que les jeunes s'impliquent davantage en politique, qu'ils arrivent au Parlement avec leur force de proposition et qu'ils y imposent un nouveau style. Il faut canaliser l'énergie de la jeunesse afin de faire campagne sur l'avenir et non sur le passé. Notons au passage que la progression du …