Les Grands de ce monde s'expriment dans

Allemagne : à droite toute ?


Fille d'un ingénieur et d'une chimiste, Frauke Petry est née le 1er juin 1975 à Dresde en RDA, aujourd'hui chef-lieu du Land de Saxe. Elle a grandi à Schwarzheide en Basse-Lusace, également en RDA. Mariée jusqu'en 2015 au pasteur Sven Petry dont elle a eu quatre enfants, elle a épousé en décembre 2016 le chef de la section de Rhénanie-Westphalie de son parti, Markus Pretzell, député au Parlement européen. Elle attend prochainement un heureux événement.
Frauke Marquardt - son nom de jeune fille - avait quatorze ans quand le mur de Berlin est tombé. Elle a alors rejoint son père qui s'était réfugié, un an plus tôt, en Allemagne de l'Ouest. Après avoir étudié la chimie à l'Université de Reading (en Grande-Bretagne) puis à l'Université Georg-August de Göttingen, où elle a obtenu un doctorat en pharmacologie et toxicologie (avec mention très bien), elle a fondé et dirigé à Leipzig l'entreprise Purinvent GmbH, rebaptisée plus tard Purivent SystemGmbH, qui fut la première au monde à créer des polyuréthanes hydratés à partir de matières premières renouvelables. En 2013, abandonnant son travail et ses recherches (couronnées de plusieurs prix), elle a créé, avec Bernd Lucke, professeur de macroéconomie à l'Université de Hambourg, le parti Alternative pour l'Allemagne (AfD), classé très à droite sur l'échiquier politique. Début 2016, elle s'est séparée de son entreprise pour se consacrer exclusivement à la chose publique.
Bernd Lucke a quitté l'AfD en 2015 pour créer son propre parti l'Alfa (Alliance pour le Progrès et le Renouveau), devenu aujourd'hui le LKR (Réformateurs libéraux-conservateurs), présidé par Christian Kott. Ce petit parti qui défend les intérêts des PME et des épargnants allemands a échoué sur le plan politique, n'obtenant que de 0,2 % à 1 % des suffrages lors des élections régionales. Frauke Petry partage la présidence de l'AfD avec son collègue Jörg Meuthen de Stuttgart. Ces deux dernières années, l'AfD a engrangé succès sur succès : elle siège dans onze parlements régionaux sur seize et totalise 26 000 adhérents. Actuellement l'AfD est divisée entre l'aile majoritaire « conservatrice-libérale » de Mme Petry et une forte minorité de dissidents relevant d'une extrême droite pure et dure.
Au congrès de Cologne, le 23 avril, Mme Petry a renoncé à être chef de file du parti pour la campagne des législatives du 24 septembre prochain, laissant la préséance à Alice Weidel, 38 ans, proche de ses vues, pour ne pas obérer la campagne par un conflit interne qui reprendra après l'échéance électorale car Mme Petry n'a pas dit son dernier mot...
J.-P. P.

Jean-Paul Picaper - Madame Petry, on peine parfois à définir votre parti. Est-il conservateur ? Nationaliste ? Conservateur-libéral ? D'extrême droite ?
Frauke Petry - Le problème des étiquettes, c'est que chacun les interprète à sa guise ! Personnellement, je dirais que l'AfD est un parti « citoyen-libéral ». Mais je sais que cette définition est, pour beaucoup, difficile à comprendre. J'invite donc chacun à consulter notre programme et à en déduire ce que nous sommes.
J.-P. P. - Posons la question autrement : qu'est-ce qui vous distingue des autres partis ?
F. P. - Notre priorité, c'est notre pays. Les autres partis, en revanche, veulent fondre les intérêts de l'Allemagne dans l'Europe et abandonner notre souveraineté, à commencer par la politique monétaire. Nous nous faisons, nous, les promoteurs d'un patriotisme sain. À nos yeux, les États nationaux sont des pôles de stabilité par excellence. J'ai bien conscience que la casquette « patriotique » est difficile à porter en Allemagne où elle est mal vue parce que les partis de gauche assimilent le patriotisme au « nationalisme ». Si l'expression « parti de droite » n'était pas tellement « grillée » dans le langage courant - parce qu'elle est systématiquement accolée au national-socialisme -, nous pourrions dire que nous sommes un parti citoyen, de droite, national-libéral ; un peu comme le parti libéral allemand FDP (1). D'ailleurs, bon nombre de ses adhérents sont venus à nous. Notre programme n'a évidemment rien à voir avec le national-socialisme qui était, à l'inverse de nos convictions, anti-libéral et étatiste.
J.-P. P. - Vous seriez donc proche du parti autrichien de la liberté, le FPÖ de Norbert Hofer ?
F. P. - Dans une certaine mesure. Mais le FPÖ défend une politique sociale proche de celle des sociaux-démocrates, autrement dit étatiste ; or nous aspirons à ramener l'État à ses tâches essentielles. Le parti libéral hollandais de Geert Wilders a des positions économiques et sociales plus proches des nôtres, mais il est beaucoup plus centré que nous sur le problème de l'islam.
J.-P. P. - L'AfD est un parti jeune, mais il a déjà connu une première scission (en 2015, avec le départ de Bernd Lucke) et est à nouveau déchiré par un conflit interne... Comment expliquez-vous ces remous constants ?
F. P. - On disait, au début, que l'AfD était un parti de « professeurs ». Je n'ai rien contre les professeurs - j'aurais moi-même aimé en être une - mais, pour le citoyen lambda, l'image passait mal. Pourtant, cette étiquette ne correspondait pas à la réalité. Dès 2013, dans les Länder, nous avons vu affluer vers notre parti des gens de tous horizons. Il y avait parmi eux bon nombre de représentants de professions libérales. Certains n'avaient jusqu'alors jamais appartenu à un parti ; 10 % venaient de la CDU, 5 % du FDP, et quelques-uns avaient auparavant milité au sein du Parti social-démocrate SPD et dans d'autres formations de gauche, surtout à l'Est.
Le professeur Lucke et moi-même avons rédigé ensemble …