Les Grands de ce monde s'expriment dans

Europe : le grand tournant


Sandro Gozi (49 ans) est, depuis février 2014, le « Monsieur Europe » du gouvernement italien. Secrétaire d'État chargé des Affaires européennes auprès de Matteo Renzi, puis de Paolo Gentiloni qui l'a reconduit dans ses fonctions, ardent défenseur de la cause européenne, député depuis 2006, il est à la fois membre du petit Parti radical (libertaire) et du Parti démocrate, dont il a été l'un des fondateurs. Il s'explique dans cette interview sur cette double appartenance, un peu curieuse malgré tout.
Sandro Gozi est né à Sogliano al Rubicone, joli village d'Émilie-Romagne. Après des études secondaires à Cesena au lycée Vincenzo Monti (poète italien du XIXe siècle), il a été l'un des pionniers du programme Erasmus dont il est aujourd'hui un ardent défenseur.
Diplômé en droit de l'université de Bologne en 1992 et auteur, quatre ans plus tard, d'une thèse de droit public, il a également suivi des cours à l'ENA, à la Sorbonne en relations internationales ainsi qu'à la London School of Economics (LSE) en macro-économie. Il a ensuite enseigné les Institutions européennes dans plusieurs universités : Collège européen de Parme, Collège d'Europe de Bruges, Drew University de Madison (New Jersey)... Entré en 1995 sur concours dans la carrière diplomatique, il est détaché auprès de la Commission de Bruxelles, puis nommé en 2001 coordonnateur du Pacte de stabilité avant de rejoindre le cabinet de Romano Prodi, qui fut président de la Commission de 1999 à 2004. Il sera conseiller politique de son successeur, le Portugais José Manuel Barroso.
En 2006, de retour en Italie, il fait campagne pour Romano Prodi qui est élu pour la seconde fois à la tête du gouvernement. En tant que conseiller aux Affaires européennes du président du Conseil, il supervise les célébrations du 50e anniversaire des traités de Rome en 2007. Le 1er août 2013, il devient président de la délégation parlementaire italienne au Conseil de l'Europe, vice-président de l'Assemblée du Conseil de l'Europe et membre de la XIVe commission chargé des politiques de l'Union européenne.
Très actif, bon orateur, ferme dans ses convictions, Sandro Gozi a publié plusieurs ouvrages dont le dernier porte un titre évocateur : Génération Erasmus. Le 9 janvier 2017, lors de la cérémonie organisée à la Sorbonne pour commémorer les trente ans du programme, il était l'une des trois personnalités invitées à prendre la parole.

R.H.


Richard Heuzé - Depuis plus de trois ans, vous êtes le « Monsieur Europe » du gouvernement italien. En septembre 2011, l'image de votre pays s'était tellement dégradée que Silvio Berlusconi avait dû se démettre de ses fonctions (1). L'Italie a-t-elle, selon vous, retrouvé une crédibilité internationale ?
Sandro Gozi - L'image de l'Italie est aujourd'hui très différente de ce qu'elle était en 2011. À l'époque, elle était le maillon faible de la zone euro. L'inertie du gouvernement Berlusconi, la sous-évaluation des risques financiers qui menaçaient notre pays avaient atteint des niveaux tels que l'Europe entière était très inquiète. Le pays risquait à tout moment un dépôt de bilan. Il y a échappé grâce à la thérapie de choc administrée par le gouvernement Monti. Il n'y avait pas d'autre choix, mais je reconnais que cette expérience aurait dû être plus courte car, si ce sauvetage a réussi, c'est au prix de lourdes conséquences économiques, sociales et politiques. La croissance est devenue négative et les classes moyennes ont payé l'austérité au prix fort. En se présentant aux élections de février 2013, Mario Monti a semé la confusion dans les rangs de ceux qui l'avaient soutenu (2). Le fait que son gouvernement ait duré dix-sept mois (3), ce qui est très long en Italie, a offert un boulevard au Mouvement 5 Étoiles (M5S) qui, pendant cette période, est passé de 15 à 25 % des voix.
Ces trois dernières années, l'Italie a montré sa détermination à se réformer après quinze années de paralysie totale du système économique et administratif. Le gouvernement Renzi a conduit des réformes fondamentales : marché du travail, éducation nationale et lycées en particulier, justice civile et commerciale avec toute une série de mesures visant à mieux gérer les contentieux. L'Italie est aussi entrée dans la modernité en matière de droits civiques : elle était le seul grand pays européen à ne pas s'être doté d'une législation sur les unions civiles. C'est désormais chose faite, ainsi qu'une loi qui simplifie et accélère les divorces. Ces questions étaient débattues depuis très longtemps, y compris lorsque la gauche était au pouvoir, sans aucun résultat. Matteo Renzi a parfois surpris, voire agacé ses partenaires européens, mais il a prouvé qu'il était crédible.
R. H. - Malgré ce bilan plutôt positif, la victoire du non au référendum constitutionnel du 4 décembre 2016 a conduit Matteo Renzi à présenter sa démission. Comment expliquez-vous ce revers ?
S. G. - La réforme soumise au vote des Italiens avait pour objectif d'améliorer le fonctionnement de l'État. On en parlait depuis trente ans. Le tort de Matteo Renzi est d'avoir lié son destin personnel au référendum. Il avait affirmé que cette réforme était indissociable du programme de son gouvernement. Il avait engagé sa confiance devant le Parlement et il a voulu en faire autant devant les électeurs. Malheureusement, le vote est intervenu dans un contexte économique et social européen très difficile. Matteo Renzi, en donnant une leçon à la vieille garde politique, a fait ce que personne …