Entretien avec Frauke Petry, Présidente du parti allemand Alternative für Deutschland (AfD), par Jean-Paul Picaper, responsable du bureau allemand de Politique Internationale.
Jean-Paul Picaper - Madame Petry, on peine parfois à définir votre parti. Est-il conservateur ? Nationaliste ? Conservateur-libéral ? D'extrême droite ?
Frauke Petry - Le problème des étiquettes, c'est que chacun les interprète à sa guise ! Personnellement, je dirais que l'AfD est un parti « citoyen-libéral ». Mais je sais que cette définition est, pour beaucoup, difficile à comprendre. J'invite donc chacun à consulter notre programme et à en déduire ce que nous sommes.
J.-P. P. - Posons la question autrement : qu'est-ce qui vous distingue des autres partis ?
F. P. - Notre priorité, c'est notre pays. Les autres partis, en revanche, veulent fondre les intérêts de l'Allemagne dans l'Europe et abandonner notre souveraineté, à commencer par la politique monétaire. Nous nous faisons, nous, les promoteurs d'un patriotisme sain. À nos yeux, les États nationaux sont des pôles de stabilité par excellence. J'ai bien conscience que la casquette « patriotique » est difficile à porter en Allemagne où elle est mal vue parce que les partis de gauche assimilent le patriotisme au « nationalisme ». Si l'expression « parti de droite » n'était pas tellement « grillée » dans le langage courant - parce qu'elle est systématiquement accolée au national-socialisme -, nous pourrions dire que nous sommes un parti citoyen, de droite, national-libéral ; un peu comme le parti libéral allemand FDP (1). D'ailleurs, bon nombre de ses adhérents sont venus à nous. Notre programme n'a évidemment rien à voir avec le national-socialisme qui était, à l'inverse de nos convictions, anti-libéral et étatiste.
J.-P. P. - Vous seriez donc proche du parti autrichien de la liberté, le FPÖ de Norbert Hofer ?
F. P. - Dans une certaine mesure. Mais le FPÖ défend une politique sociale proche de celle des sociaux-démocrates, autrement dit étatiste ; or nous aspirons à ramener l'État à ses tâches essentielles. Le parti libéral hollandais de Geert Wilders a des positions économiques et sociales plus proches des nôtres, mais il est beaucoup plus centré que nous sur le problème de l'islam.
J.-P. P. - L'AfD est un parti jeune, mais il a déjà connu une première scission (en 2015, avec le départ de Bernd Lucke) et est à nouveau déchiré par un conflit interne... Comment expliquez-vous ces remous constants ?
F. P. - On disait, au début, que l'AfD était un parti de « professeurs ». Je n'ai rien contre les professeurs - j'aurais moi-même aimé en être une - mais, pour le citoyen lambda, l'image passait mal. Pourtant, cette étiquette ne correspondait pas à la réalité. Dès 2013, dans les Länder, nous avons vu affluer vers notre parti des gens de tous horizons. Il y avait parmi eux bon nombre de représentants de professions libérales. Certains n'avaient jusqu'alors jamais appartenu à un parti ; 10 % venaient de la CDU, 5 % du FDP, et quelques-uns avaient auparavant milité au sein du Parti social-démocrate SPD et dans d'autres formations de gauche, surtout à l'Est.
Le professeur Lucke et moi-même avons rédigé ensemble les quatre pages que comportait le premier programme du parti. Bernd Lucke ne pensait qu'à l'économie et, en particulier, à l'euro, qu'il a toujours sévèrement critiqué. Les autres sujets - la politique énergétique, la pollution atmosphérique, l'immigration, l'islamisation, la démocratie directe, la protection des données, l'instauration de référendums au niveau national ou encore la santé - lui importaient peu, contrairement à moi.
Dès 2014, ce socle étroit sur lequel il s'appuyait a provoqué des conflits internes parce que la grande majorité des adhérents ne voulait pas que notre programme se limite à la dénonciation de l'euro. Le problème, entre nous, n'était pas une question d'orientation du parti mais d'ampleur du programme. M. Lucke avait une vision limitée strictement monétaire et économique, alors que je voulais, pour ma part, créer un grand parti populaire. Quand Lucke a compris qu'il ne pouvait pas gagner la bataille interne, il a fait quelque chose qui marche à tous les coups en Allemagne : il a stigmatisé ceux qui n'étaient pas d'accord avec lui, moi y comprise, affirmant que nous étions d'extrême droite. Pourtant, il avait dit en public qu'il ne voyait aucune différence d'orientation entre nous deux...
Je dois ajouter qu'à l'époque nous avions déjà parmi nous quelques personnes - dont Björn Höcke (2) et sa troupe - considérées comme d'extrême droite mais qui sont, en réalité, des socialistes de gauche. Autrement dit des nationaux-socialistes (3). Ces gens se réfèrent notamment à la revue Sezession, proche des milieux néo-fascistes italiens. Ils sont favorables à un État très fort régi par un despote qui contrôlerait l'ensemble de la société. C'est-à-dire un système totalitaire. Certes, ils sont minoritaires au sein de notre parti mais ils parviennent à s'imposer en prenant les gens par les sentiments - alors que je suis, moi, pour une argumentation rationnelle. Nombre de gens simples croient trouver chez eux une patrie que les autres politiciens ne leur donnent pas. C'est ce qui les rend très dangereux.
J.-P. P. - Vous êtes donc à la veille d'une nouvelle scission ?
F. P. - Oui, mais c'est un mot qui électrise. Il y a deux tendances dans le parti. La nôtre, majoritaire, qui veut que l'AfD soit un parti citoyen et démocratique avec des lignes rouges à ne pas dépasser ; et cette minorité qui ne cesse de transgresser ces lignes et qui ne craint pas de faire de l'oeil au NPD (4). Au fond, c'est une situation que les Verts ont connue avant nous quand ils se sont divisés entre « réalos » et « fundis », réalistes et fondamentalistes. Partout où les « fundis » ont pris le dessus, ils ont perdu les élections. En revanche, si les Verts sont aujourd'hui au pouvoir en Bade-Wurtemberg, ils le doivent aux « réalos ». Par surcroît, les « fundis » - chez les Verts comme chez nous - donnent des munitions aux adversaires politiques et aux médias qui sont contre nous. C'est d'autant plus dommageable que, en Allemagne, nous évoluons dans un espace politique …
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