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Crise du Golfe : Doha au banc des accusés

« Enough is enough! ». « Assez, c'est assez ! » La colère d'Anouar Gargash, le vice-ministre des Affaires étrangères des Émirats arabes unis (EAU), est à peine contenue (1). Voilà dix ans au moins que le Qatar exaspère ses voisins des Émirats et d'Arabie saoudite. Le temps des représailles a enfin sonné.

Le 5 juin 2017 au matin, l'Arabie saoudite, les Émirats, Bahreïn, l'Égypte et le Yémen rompent leurs relations diplomatiques avec le minuscule Qatar qu'ils accusent de financer le terrorisme islamiste. Aussitôt, dans les locaux de l'ambassade d'Arabie à Doha, le personnel saoudien brûle des télégrammes diplomatiques pour ne laisser aucune trace. Mais les sanctions ne s'arrêtent pas là : les frontières terrestres sont fermées. Le Qatar ne peut plus importer l'essentiel de ses produits alimentaires d'Arabie. En plein ramadan, les ressortissants qatariens ont deux semaines seulement pour quitter l'Égypte, les Émirats et l'Arabie. Les liaisons aériennes entre Doha et ses voisins sont interrompues. Un blocus aérien se met en place : jusqu'alors, 32 vols reliaient quotidiennement Doha à Dubaï. Les voyageurs devront désormais passer par Oman ou par le Koweït, les deux pays du Golfe qui ne se sont pas associés à l'impressionnante batterie de sanctions imposées au Qatar (2). Le coup est rude pour Doha, dont le modèle de développement repose sur la liberté de circulation des personnes. Sans cette ouverture, les dizaines de milliers d'expatriés, ces cols blancs qui font tourner l'économie du petit émirat gazier, seront lourdement handicapés.

Ce n'est pas la guerre, mais comme le souligne l'ambassadeur de France à Doha Éric Chevallier lorsqu'il convoque le jour même des représentants de la communauté française : « Nous sommes très haut dans l'échelle des sanctions imposées par un pays à un autre. » Bien décidés à faire rentrer le Qatar dans le rang, Riyad et Abou Dhabi emploient, en effet, les grands moyens.

Comment en est-on arrivé là ?

Une si longue inimitié

L'inimitié est ancienne entre le Qatar et ses voisins. En 1995, déjà, l'Arabie et les Émirats avaient condamné l'éviction de leur allié, l'émir du Qatar, cheikh Khalifa, renversé par son fils, le très ambitieux cheikh Hamad, l'homme qui allait « installer le Qatar sur la carte du monde », avant de léguer le pouvoir en 2013 à son fils Tamim.

Depuis son exil doré entre l'hôtel Intercontinental d'Abou Dhabi et ses palaces londonien et cannois, Khalifa, dirigeant conservateur partisan de ne rien changer dans son pays, rumine sa vengeance. Elle se concrétise la nuit du 13 au 14 février 1996 lorsque, épaulé par les Émirats arabes unis, il tente de reprendre le pouvoir à son fils. Le contre coup d'État échoue mais, depuis, la guerre de l'ombre est intense entre Doha et ses voisins. Elle est souvent conduite par les Émirats, notamment depuis les États-Unis où Abou Dhabi se livre à des actions répétées de lobbying anti-Qatar. Doha n'en ignore quasiment rien.

Au cours des années suivantes, les responsables émiriens n'eurent de cesse de dénoncer l'action déstabilisatrice du Qatar en Libye. …