Ministre-présidente du Land de Sarre depuis 2011 et membre du Parti chrétien-démocrate d'Allemagne (CDU) depuis 1981, Mme Kramp-Karrenbauer est née le 9 août 1962 à Völklingen (Sarre). Après des études de droit et de science politique à l'Université de Trèves, elle est élue conseillère municipale à Püttlingen (Sarre) dans les années 1980, puis députée au Bundestag en 1998 en tant que suppléante de l'ancien ministre chrétien-démocrate Klaus Töpfer. Elle entre en 1999 au parlement du Land de Sarre, le Landtag. L'année suivante, elle devient ministre régionale de l'Intérieur et, en 2007, ministre de l'Éducation de la Sarre.
Après les régionales de 2009, elle est promue ministre du Travail dans le gouvernement sarrois de Peter Müller (CDU) qui forme la première « coalition jamaïcaine » d'Allemagne, composée de chrétiens-démocrates (noirs), de libéraux (jaunes) et de Verts. Lorsque, début 2011, Peter Müller décide de quitter la politique pour « relever de nouveaux défis » (il sera élu juge à la Cour constitutionnelle de Karlsruhe à l'automne), son héritière politique, Mme Kramp-Karrenbauer, est investie ministre-présidente, désignée à l'unanimité par le comité directeur régional et le groupe parlementaire. Le 28 mai, elle est portée à la présidence de l'Union chrétienne-démocrate dans la Sarre avec 95,6 % des voix, en remplacement de Müller, qui occupait ce poste depuis 1995. Au bout de quelques mois, elle met fin à la coalition avec les libéraux et les écologistes, provoquant des élections anticipées. Après ce scrutin, elle décide de former une coalition gouvernementale régionale avec les sociaux-démocrates (SPD).
Lors des élections législatives régionales du 26 mars 2017, elle est opposée à sa vice-ministre-présidente sociale-démocrate Anke Rehlinger qui aspire à former une coalition « rouge-rouge » du SPD et de La Gauche (die Linke) néomarxiste, avec la bénédiction de Martin Schulz (SPD), le rival d'Angela Merkel. Mais la CDU de Mme Kramp-Karrenbauer remporte une nette victoire, avec 40,7 % des suffrages exprimés (24 députés) contre seulement 29,7 % (17 sièges) au SPD et un recul de la gauche radicale. Ce score est présenté comme la conséquence de la très forte popularité de Mme Kramp-Karrenbauer. L'opinion la perçoit comme une personnalité objective, calme et proche de la population. La presse parle aussi de l'« effet AKK » (Annegret Kramp-Karrenbauer). Surtout, cette victoire du centre droit en Sarre amorce la dégringolade de Martin Schulz qui sera battu aux législatives nationales du 24 septembre après avoir eu le vent en poupe pendant quelques semaines au début de l'année 2017. La ministre-présidente de Sarre réélue forme à nouveau une grande coalition CDU-SPD avec les mêmes ministres.
Conservatrice en matière d'éthique, elle est néanmoins considérée comme appartenant à l'aile sociale de la CDU, soutenue par les ouvriers catholiques. Elle a défendu l'idée d'imposer les riches au taux de 53 % alors que le SPD et les Verts ne proposaient que 49 %. En 2012, elle avait également encouragé une proposition de la gauche qui visait à instaurer un quota de femmes dans les entreprises, contre l'avis de la chancelière. D'aucuns la considèrent comme candidate potentielle à la succession d'Angela Merkel.
J.-P. P.
Jean-Paul Picaper - Madame la Ministre-présidente, vous avez été plénipotentiaire de la République fédérale d'Allemagne chargée des relations culturelles franco-allemandes. Où en sont aujourd'hui ces relations ?
Annegret Kramp-Karrenbauer - L'opinion publique n'y prête guère attention parce qu'en Allemagne cette tâche est confiée aux Länder (1), mais les relations franco-allemandes font l'objet d'un travail permanent. C'est sous mon prédécesseur au poste de plénipotentiaire, Peter Müller, que le manuel d'Histoire franco-allemand a vu le jour. Et c'est pendant mon mandat que nous avons ouvert le premier lycée professionnel franco-allemand.
Au-delà de ce volet purement culturel sur lequel je reviendrai, je dois admettre que l'axe franco-allemand n'a pas toujours fonctionné sans accrocs au cours des dernières années. Au moment de la crise financière ou, plus récemment, lors de la crise des réfugiés, nos deux pays ont affiché de fortes divergences de vues. Il n'empêche : j'ai le sentiment qu'aujourd'hui, après l'élection du nouveau président français, l'attention va se recentrer sur l'Europe et sur le partenariat franco-allemand.
J.-P. P. - En 2013, vous avez lancé un projet visant à faire du français une langue véhiculaire en Sarre, au même titre que l'allemand, y compris dans l'administration. Est-ce à dire que tous les écoliers devront parler français ?
A. K.-K. - Oui, notre objectif à long terme est que les générations qui naissent aujourd'hui deviennent bilingues. Ce n'est pas quelque chose qu'on peut décréter, mais nous soutenons à fond cette évolution. L'apprentissage doit commencer dès le plus jeune âge. Il ne s'agit pas d'apprendre le français en tant que deuxième langue, mais de le parler au quotidien en tant que langue de voisinage. Actuellement, 40 % des maternelles de Sarre sont bilingues. Nous voulons aller plus loin et faire en sorte qu'à la fin du primaire tous les enfants parlent français. À partir de la 6e, ils pourront alors débuter l'anglais. Nous voudrions aussi que le français soit une langue présente dans la vie publique, que les panneaux indicateurs, les formulaires administratifs, les accès Internet soient rédigés également en français. Le plurilinguisme sera évidemment un atout pour nos concitoyens.
J.-P. P. - Du côté lorrain, en France, cette initiative a-t-elle suscité un écho ?
A. K.-K. - La réaction a été immédiatement positive. Mais, surtout, j'ai constaté, au cours des nombreux voyages que j'ai effectués en France pour présenter notre projet, que cette expérience éveille un intérêt considérable, même dans des régions très éloignées de notre frontière.
J.-P. P. - La Sarre est-elle en train de devenir une plaque tournante entre la France et l'Allemagne ?
A. K.-K. - Il s'agit, en effet, de jeter un pont entre l'Allemagne et la France. Les Länder limitrophes de la France - le Bade-Wurtemberg, la Rhénanie-Palatinat et la Sarre - viennent de créer une instance de coopération permanente chargée de définir une politique de voisinage. J'y ai déjà siégé deux fois.
J.-P. P. - La Sarre a subi de plein fouet l'effondrement de la sidérurgie et des charbonnages. Comment avez-vous réussi à vous relever?
A. K.-K. - …
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