Hashim Thaçi est l'un de ces hommes d'État qui sont arrivés au pouvoir après de longues années de combat pour libérer leur pays. Leader des étudiants de l'Université de Pristina quand Slobodan Milosevic décida, en 1990, de supprimer le statut d'autonomie du Kosovo accordé autrefois par le maréchal Tito, il fut, en 1991, l'un des fondateurs de l'UCK (l'Armée de libération du Kosovo). Après des études supérieures d'histoire et de sciences politiques à Vienne et Zürich, il s'engagea dans la lutte contre les forces serbes. Rompu à la vie clandestine, il devint l'un des chefs de l'aile politique de l'UCK, et c'est à ce titre qu'il prit la tête de la délégation kosovare aux négociations de Rambouillet de février 1999, imposées par le Groupe de contact (États-Unis, Royaume-Uni, France, Allemagne, Italie, Russie). Il y négocia une série d'accords qui seront refusés par la délégation serbe, refus qui entraîna l'opération Force alliée de l'Otan, une campagne de frappes aériennes visant les installations militaires et les infrastructures serbes, conduite entre mars et juin 1999.
Membre du Conseil administratif provisoire du Kosovo durant l'administration directe du pays par les Nations unies (de juillet 1999 à février 2008), il transforma l'UCK en parti politique et occupa le poste de premier ministre après la victoire de cette nouvelle formation, le PDK, aux élections législatives de novembre 2007 (il demeurera en fonctions jusqu'en 2014 grâce à la victoire du PDK aux législatives anticipées de 2010). Dès février 2008, il proclama l'indépendance du pays, conformément à l'exigence qu'il avait exprimée dès le début de ses activités politiques ; conformément, aussi, au plan Athisaari de 2007 (1). L'indépendance fut immédiatement reconnue par la plupart des pays de l'Union européenne et par les États-Unis ; elle l'est aujourd'hui par plus de la moitié des pays membres de l'ONU.
Élu président de la République (2) début 2016, Hashim Thaçi continue de mener une politique internationale résolument pro-occidentale et pro-européenne fondée sur la coopération et la stabilité régionales, ainsi que sur le dialogue avec Belgrade. Sur le plan intérieur, sa politique économique d'inspiration sociale-libérale et favorable au marché vise à moderniser l'appareil industriel et à mieux exploiter les ressources naturelles du pays (en particulier ses importantes richesses minières, agricoles et touristiques) avec l'aide de l'Union européenne. Plutôt de centre droit, pro-européen et proche des États-Unis, Hashim Thaçi est un homme de conviction et de dialogue qui fait une priorité de la réconciliation avec la communauté serbe (10 % de la population, vivant majoritairement dans le nord du pays) et avec Belgrade, près de vingt ans après la fin du conflit.
Au moment où la politique de Moscou attise les tensions dans les Balkans, au point que certains commentateurs évoquent une « poudrière », il est important de connaître l'opinion du président d'un pays dont Vladimir Poutine n'a jamais accepté l'indépendance, utilisant celle-ci comme précédent pour justifier l'annexion de la Crimée. De même, la position d'Hashim Thaçi vis-à-vis du pouvoir islamo-conservateur du président turc Erdogan (au vu de l'influence de la Turquie dans un Kosovo majoritairement musulman mais laïque et multiconfessionnel) mérite d'être entendue.
J. B.
Jacques Baudouin - Monsieur le Président, votre parti, le PDK, a remporté les élections législatives en juin 2017 avec 34 % des voix. Est-ce aussi une victoire pour vous et la ligne pro-européenne que vous défendez ? Que dit ce résultat de la situation politique du pays et de l'état d'esprit de vos concitoyens ?
Hashim Thaçi - Permettez-moi d'abord de vous rappeler que même si j'ai évidemment suivi avec attention la campagne électorale des législatives de 2017, je ne m'y suis pas personnellement impliqué, pour la première fois depuis quinze ans. Pour une raison simple : la fonction présidentielle que j'occupe aujourd'hui m'oblige constitutionnellement à observer la plus stricte neutralité. J'ai mes propres idées, mes propres ambitions pour mon pays mais je suis ouvert à tous les partis dès lors qu'ils respectent l'ordre constitutionnel de notre république. S'agissant des élections elles-mêmes et de leur résultat, il est clair que le Kosovo a réalisé des progrès. Tous les observateurs locaux et régionaux ont considéré qu'elles avaient été ouvertes, justes et démocratiques. Il y a bien eu des cas de fake news, ces informations fabriquées de toutes pièces répandues par des médias sociaux, et l'utilisation de méthodes peu reluisantes pour tenter d'influencer la campagne. Il y a eu, par exemple, plusieurs cas avérés de publicités sur Facebook renvoyant vers des sites web qui copiaient des journaux réels et propageaient ainsi des contenus mensongers sur des partis politiques. Mes compatriotes ont fait preuve d'une grande maturité en manifestant le désir de continuer à construire un véritable État démocratique.
J. B. - Quel est l'état de vos relations avec le nouveau premier ministre, Ramush Haradinaj ? Partagez-vous le même idéal politique pour le Kosovo ? Le fait qu'il soit sous le coup d'un mandat d'arrêt international déposé par la Serbie ne risque-t-il pas de compliquer son action (3) ?
H. T. - J'ai des relations de travail respectueuses avec tous les leaders démocratiquement élus du Kosovo. M. Haradinaj appartient au courant politique kosovar dominant qui soutient l'objectif de notre pays de devenir membre de l'Alliance atlantique et de l'Union européenne. Le mandat d'arrêt serbe à son encontre est un montage. Durant les vingt dernières années, la Serbie a lancé des centaines, si ce n'est des milliers de mandats d'arrêt secrets contre tous les leaders du Kosovo, y compris moi-même, les chefs de l'Otan et tous ceux qui combattaient la politique de Milosevic. Je pense que c'est à l'Union européenne de se charger de discuter avec la Serbie afin qu'elle cesse d'utiliser les tribunaux et Interpol pour pousser à un règlement régional.
J. B. - Le parti de l'autodétermination, Vetëvendojse !, est arrivé en deuxième position aux législatives avec 27,49 % des suffrages. Cette formation prône le rattachement de votre pays à l'Albanie. Que pensez-vous de cette idée ? Est-ce une utopie, une erreur ? Plus généralement, quelles sont, aujourd'hui, vos relations avec l'Albanie ?
H. T. - Pour répondre à ces questions, il faut d'abord revenir brièvement sur le passé. Comme vous le …
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