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Les Rohingya et les hoquets de l'Histoire

Depuis l'éclatement de la dernière crise en août 2017 (1), plus de 400 000 Rohingya ont fui les violences dans le nord de l'État de l'Arakan (Birmanie/Myanmar (2)), pour se réfugier au Bangladesh voisin où 450 000 membres de leur communauté vivaient déjà dans des camps installés depuis 1971-1972. Épuisés, affamés, traumatisés, ils racontent les exactions dont ils sont une fois de plus victimes, comme ils le furent lors des crises précédentes (1978, 1991, 2012, 2016) ; les images-satellites confirment leurs dires. On y voit des villages incendiés et des milliers de personnes sur les routes. La communauté internationale, ONU en tête, évoque une « épuration ethnique ». Tous les regards se tournent vers Aung San Suu Kyi, qui est depuis avril 2016 conseillère d'État (3) et ministre des Affaires étrangères. La prix Nobel de la paix 1991 est accusée de complicité ou, au moins, d'irresponsabilité pour son silence « assourdissant ».

Difficile de comprendre, dans l'actuel flot d'informations et de désinformation, la (très) complexe question rohingya. Difficile, aussi, de démêler les malentendus et ressentiments qui se sont accumulés depuis des années, voire des siècles. Difficile, enfin, d'interpréter le retrait apparent d'Aung San Suu Kyi et de son gouvernement à l'égard des récentes exactions et persécutions... Comment analyser l'acharnement de l'armée (la Tatmadaw) et expliquer la haine des bouddhistes nationalistes envers cette minorité ? Enfin, comment distinguer les ressorts purement internes des facteurs régionaux, voire internationaux, qui pèsent de plus en plus sur ce dossier ? D'emblée, toute lecture simpliste et émotionnelle doit être écartée.

Après cinquante ans de régime autoritaire, la transition politique en Birmanie/Myanmar a été l'un des faits marquants des cinq dernières années. Mais l'Occident, prompt à célébrer ses icônes, a trop vite basculé dans une naïveté bien-pensante. Il découvre aujourd'hui que l'armée n'avait accepté cette évolution qu'à condition de la contrôler. C'est l'un des paramètres à prendre en compte lorsqu'on traite de la question des musulmans de l'Arakan, au même titre que les aspects historiques, économiques ou sécuritaires. Autant dire que l'enchevêtrement des considérations rend toute solution pérenne excessivement fragile.

Les Rohingya, population flottante

Qui sont les Rohingya ? Pour bien appréhender la complexité séculaire de la question, il faut contempler à la fois une carte géographique et une frise historique. Les Rohingya sont les victimes d'une accumulation de malentendus, d'amalgames, de virages mal négociés et de négligences sur plusieurs siècles.

Entre Bengale et Arakan

Les Rohingya sont un peuple indo-aryen installé dans l'espace bengalo-arakanais autour du Ve siècle. Au cours de l'Histoire, ils se mêlent aux populations locales (par mariage) mais aussi aux marchands arabes, turcs ou encore mongols et se convertissent massivement à l'islam autour du XVe siècle. Après la formation du royaume bouddhiste d'Arakan (1431-1785), qui vit richement du commerce avec le sous-continent indien, certains d'entre eux offrent leurs services aux élites et prospèrent tandis que d'autres sont capturés par les souverains d'Arakan, qui les déportent ou les forcent à travailler à l'exploitation des rizières. La royauté arakanaise de Mrauk-U (la capitale) incorpore …