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Que reste-t-il du communisme ?

Le 25 octobre 1917 (selon le calendrier de l'époque), la prise par les bolcheviks du Palais d'hiver, ancienne résidence officielle de la famille royale devenue le siège du gouvernement provisoire russe à Saint-Pétersbourg, a ouvert une séquence historique majeure dans l'histoire de l'humanité : celle de l'édification d'un système se voulant communiste, d'abord en Russie puis, surtout à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale, dans des dizaines d'États d'Europe, d'Asie, d'Afrique, des Amériques...

Un siècle plus tard, et plus de vingt-cinq ans après l'effondrement de l'Union soviétique, quelles leçons est-il possible de tirer de cette expérience politique, sociale, économique et, bien sûr, répressive ? Le communisme - encore invoqué, sous diverses formes, par plusieurs régimes et de nombreux mouvements politiques de par le monde - est-il toujours d'actualité en tant que doctrine, en tant que modèle, en tant qu'utopie ? Bref, qu'en reste-t-il ?

Pour répondre à ces interrogations, nous avons sollicité deux des meilleurs spécialistes français de la question, internationalement reconnus pour leur contribution à l'analyse du phénomène communiste : Stéphane Courtois, qui a notamment dirigé le fameux ouvrage collectif Le Livre noir du communisme, et Pierre Rigoulot, directeur de l'Institut d'histoire sociale et grand connaisseur, en particulier, des systèmes cubain et nord-coréen. Tous deux se livrent ici à un dialogue stimulant sur le passé, le présent et l'avenir d'une idéologie multiforme qui n'a peut-être pas dit son dernier mot...

P. I.

Pierre Rigoulot - Se demander ce qui reste du communisme, c'est d'emblée reconnaître qu'il n'est plus ce qu'il était, qu'il s'est affaibli et transformé, et que ses surgeons récents ne compensent pas les coups qu'il a subis ces dernières décennies du fait de la politique des États occidentaux et surtout, me semble-t-il, du fait de ses dysfonctionnements, incapacités et contradictions internes.

On dit plus souvent de l'URSS, par exemple, qu'elle a « implosé » plus qu'elle n'a perdu le conflit qui l'opposait au monde démocratique. Le monde communiste, qui ne se ramène pas à l'URSS, a été vaincu à la fois du fait de ses insuffisances propres et pour des raisons militaires (je pense au programme de « guerre des étoiles » de Ronald Reagan qui constituait pour le « camp socialiste » un défi très difficile à relever), économiques (les démocraties occidentales réussissant bien mieux à offrir un niveau de vie décent à une plus grande proportion de leur population) et idéologiques.

Le rappel récurrent des échecs, des erreurs et des violences du « camp socialiste » a eu aussi son importance, en particulier auprès des militants et des idéologues communistes du monde occidental. La liste est longue des occasions qui ont été données de dénoncer les graves méfaits du communisme : le procès Kravchenko en 1949, le procès Rousset en 1950, la répression du soulèvement de juin 1953 à Berlin-Est, l'écrasement de la révolte hongroise en novembre 1956, l'invasion de la Tchécoslovaquie en août 1968, le choc produit par L'Archipel du goulag en 1974, pour ne m'en tenir qu'à l'Europe.

Et je ne suis pas peu fier d'avoir participé, même modestement, à l'un des livres qui a fait le plus de mal aux idéologues et aux sympathisants communistes : Le Livre noir dont tu as été, Stéphane, le maître d'oeuvre, et qui rappelait la montagne de cadavres et de souffrances provoqués par le communisme. Nous étions face à un système politique liberticide et incapable de satisfaire les besoins des populations qu'il dominait, que ce soit en termes de liberté, d'égalité ou de bien-être matériel.

Malgré tout, le communisme n'a pas disparu. On peut se demander par exemple si le comportement actuel de la Russie dans l'arène internationale n'a pas à voir, justement, avec quelque chose qui lui reste du communisme.

Et si la Chine, « République populaire » depuis 1949, a beaucoup changé depuis la mort de Mao, un parti communiste y est encore officiellement au pouvoir, et les conditions de la mort de Liu Xiaobo, le prix Nobel de la paix 2010, montrent que les méthodes communistes n'ont pas été jetées aux oubliettes. Il y a aussi un parti communiste au pouvoir au Vietnam, au Laos et à Cuba. Et, bien sûr, le parti unique de la Corée du Nord s'appelle le parti du Travail. Ses dirigeants ont des caractéristiques un peu spéciales : ils se succèdent de manière héréditaire et ne font plus référence au marxisme-léninisme. Mais le système en place présente bien les caractéristiques d'un …