Jean-Pierre Perrin - L'ancien ambassadeur américain à Damas Robert Ford, qui est l'un des meilleurs observateurs de la scène syrienne, a récemment fait ce constat : « Assad a gagné et restera au pouvoir » (3). Partagez-vous cette vision des choses ?
Bassma Kodmani - Il est évident que le rapport des forces sur le terrain est favorable au camp qui soutient le régime. Plutôt que « Assad a gagné », je dirais « le camp du régime a gagné ». La nuance est d'importance car, en réalité, ce n'est pas Bachar el-Assad qui l'a emporté. Il a été remis en selle, à un moment où il était sur le point de s'effondrer - lui, son régime et son armée -, par ces deux acteurs extérieurs majeurs que sont la Russie et l'Iran. La victoire est celle de Téhéran et de Moscou. C'est pourquoi notre préoccupation aujourd'hui n'est pas seulement la pérennité du régime d'Assad ; c'est aussi la certitude que la Russie et l'Iran vont imposer leur prix en échange d'une fin du conflit et d'une transition politique. On ignore encore ce qu'ils exigeront exactement mais il semble certain que leurs appétits seront à la fois politiques, économiques et même, peut-être, territoriaux...
J.-P. P. - Il n'empêche que Bachar el-Assad, lui, crie victoire...
B. K. - C'est vrai. Il y a, dans le camp du régime, un triomphalisme qui effraye même les gens qui en sont proches. Son esprit revanchard est, en effet, très inquiétant. On a le sentiment que Bachar el-Assad et les siens n'ont rien appris et qu'ils n'ont aucune intention de changer leur mode de fonctionnement. Le pouvoir n'a jamais montré qu'il était capable de réagir à des revendications populaires par des solutions politiques. Tout au long des sept années de conflit, son unique réponse aux doléances des citoyens a été exclusivement militaire et répressive. Bachar el-Assad veut que le conflit s'achève par un retour exact au statu quo ante, c'est-à-dire à une époque où le régime multipliait en toute impunité les crimes et les arrestations, où la répression était constante et la police secrète omniprésente... Ce qu'il veut, c'est continuer d'exercer un contrôle absolu sur le peuple. Il n'a renoncé à rien. Il pense pouvoir reprendre le contrôle de l'intégralité du territoire syrien par la force, il souhaite écraser tous ceux qui l'ont contesté et leur imposer une soumission totale. Une telle attitude est-elle celle d'un homme réellement capable de gouverner le pays ? La réponse est non. Les Russes le savent. Ils ont accepté que Bachar reste en place, mais ils ne posent pas la question d'après, à savoir : comment va-t-il gouverner ? Peut-il revenir dans tous ces territoires et les diriger comme si de rien n'était ? Il espère que la population est tellement épuisée qu'elle n'a plus que des besoins vitaux, comme des animaux qui n'ont besoin que d'un refuge et de nourriture, et qui ne s'exprimeront pas. Mais la réalité n'est pas celle-là. On voit des gens recommencer à manifester …
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