Thomas Hofnung - Vous qui avez dirigé la DST de 2002 à 2007, avez-vous le sentiment qu'en matière de renseignement on a basculé dans une autre époque ?
Pierre de Bousquet de Florian - Le premier tournant, ce furent les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis. Cette tragédie a considérablement stimulé la coopération au niveau national et international. S'agissant du contre-terrorisme, le paradigme a complètement changé : nous sommes confrontés à une menace qui, par son ampleur, son intensité et sa nature même, n'a plus rien à voir avec ce que nous connaissions. Ce nouveau contexte nous a conduits à renforcer les partenariats entre les différents services. Pour la DGSI, par exemple, ces échanges ont été multipliés par quatre depuis dix ans.
T. H. - Paradoxalement, vous ne souffrez pas d'un manque d'informations, mais presque d'un trop-plein...
P. B. F. - C'est l'un de nos principaux problèmes. Avec l'amélioration des techniques de recueil de renseignement et Internet, on dispose d'une masse d'informations qu'il s'agit de comprendre et d'analyser à temps afin de les exploiter au mieux. Pour cela, rien ne remplacera jamais une source humaine. Un point important à ajouter que les historiens connaissent : souvent, après une tragédie, lorsque l'on se livre à un examen du passé, à l'inventaire honnête de ce qui était su, on se rend compte que l'on disposait des informations pertinentes mais que, faute de les avoir partagées à temps ou analysées intelligemment, la tragédie s'est produite. On savait, mais on ne savait pas que l'on savait : c'est le « syndrome Pearl Harbor » que la Commission d'enquête du Congrès des États-Unis a une fois encore mis en relief à propos des attentats du 11 septembre 2001.
Nous n'avons pas suffisamment, en France, cette culture du « retour d'expérience », trop vite assimilée à une recherche de responsabilités individuelles et de mises en cause partisanes. Après chaque attentat, nous devons pourtant nous interroger sur les vulnérabilités, les oublis ou les dysfonctionnements ayant abouti à ces crimes. Et cela, afin de faire progresser collectivement nos dispositifs. On ne peut pas se contenter de la rhétorique lénifiante du type : « Il n'y a pas de faille », qui instille l'idée à la fois d'une perfection absolue de notre système de sécurité et d'une forme de fatalité des attentats. Sachons être plus responsables. De ce point de vue, tirons les enseignements des saines pratiques de certaines grandes démocraties, à l'image des États-Unis, et conduisons des analyses froides et dépassionnées.
T. H. - Le Centre national de contre-terrorisme (CNCT), mis en place en juin 2017 par le président Macron et que vous dirigez, est-il une structure de plus dans le millefeuille sécuritaire français ?
P. B. F. - Ce n'est pas une nouvelle structure puisqu'il a été créé à l'intérieur de la Coordination nationale du renseignement et de lutte contre le terrorisme (CNRLT), qui a elle-même vu le jour en 2008. Le CNCT est une sorte d'état-major formé de conseillers de la CNRLT qui consacrent tout …
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