Europe : les travaux d'Hercule d'Emmanuel Macron

n° 158 - Hiver 2018

Nathalie Loiseau est devenue ministre chargée des Affaires européennes à la place de Marielle de Sarnez en juin dernier. Diplomate de carrière, elle était depuis 2012 à la tête de l'École nationale d'administration (ENA) où elle a marqué sa volonté de diversifier le recrutement. « Ce manque de diversité est un problème que rencontrent toutes les grandes écoles. On a aujourd'hui un système éducatif qui est plus en forme d'entonnoir que d'ascenseur », avait-elle expliqué en 2015. Née le 1er juin 1964 à Neuilly-sur-Seine, diplômée de Sciences Po Paris et de l'Institut national des langues et civilisations orientales en chinois, cette mère de quatre enfants a accompli l'essentiel de sa carrière aux Affaires étrangères. Elle a notamment été conseillère du ministre Alain Juppé (1993-1995) au Quai d'Orsay, secrétaire d'ambassade en Indonésie, au Sénégal et au Maroc, puis porte-parole de l'ambassade de France aux États-Unis (2002-2007). Elle a également occupé le poste de directrice des ressources humaines et de directrice générale de l'administration et de la modernisation au ministère des Affaires étrangères.

Européenne convaincue, elle s'efforce de mettre en musique les nombreuses propositions lancées par Emmanuel Macron dans son discours sur l'Europe prononcé à la Sorbonne le 26 septembre dernier. Par exemple : une « initiative européenne d'intervention » pour 2020 ; un Parquet européen contre le terrorisme ; un office européen de l'asile ; une police européenne des frontières ; un ministre des Finances de la zone euro ; une taxe européenne sur les transactions financières ; une agence européenne pour l'« innovation de rupture » ; des listes transnationales au Parlement européen dès 2019 ; une Commission européenne réduite à quinze membres, etc. Nathalie Loiseau, qui voyage et consulte beaucoup, se félicite d'occuper un poste « très interministériel » dans un gouvernement qui ne craint pas de s'afficher ouvertement « pro-européen ».

B. B.

 

Baudouin Bollaert - Dans son discours de la Sorbonne, Emmanuel Macron a suggéré à ses collègues européens de faire preuve de plus d'« audace ». Ce souhait vous semble-t-il exaucé ?

Nathalie Loiseau - Nous constatons un net consensus pour ne pas en rester à la routine, au statu quo. C'est une bonne nouvelle. À l'anxiété et aux débats internes provoqués par la victoire du vote en faveur du Brexit a succédé le soulagement suscité par la victoire d'Emmanuel Macron à la présidentielle française. Il a été élu sur un programme clairement pro-européen. Le fait que le train européen n'ait pas déraillé ne doit pas nous inciter à revenir aux pratiques habituelles. Tous les États membres sont d'accord pour réformer l'UE. La Commission européenne aussi. L'action et les propositions de son président, Jean-Claude Juncker, le prouvent. Cette envie de faire plus, vite et mieux est largement partagée. Il y a de nombreux secteurs où l'Union doit peser davantage. On commence à bien avancer sur les questions de sécurité, par exemple. En matière sociale, une première avancée significative a été obtenue sur le détachement des travailleurs, mais davantage doit être accompli dans ce domaine trop peu traité jusqu'à présent...

B. B. - Comment améliorer le mode de fonctionnement de l'UE qui paraît d'une singulière complexité ?

N. L. - Personne n'idolâtre le fonctionnement de l'Union, à commencer par Emmanuel Macron. La Commission en est consciente. Elle a lancé une action afin de mieux légiférer. Cela signifie moins de dispositions législatives, un effort de simplification et plus de subsidiarité pour que l'UE n'intervienne que sur les sujets où elle apporte une réelle valeur ajoutée. Ce constat est partagé par les États membres, et les directions à suivre sont bien identifiées. De ce point de vue, la Commission Juncker est très différente de la Commission Barroso, car elle s'efforce de tirer les leçons des insatisfactions précédentes.

B. B. - Est-ce suffisant ?

N. L. - Non, nous demandons davantage. En matière commerciale, nous voulons une plus grande transparence dans les mandats de négociation confiés à la Commission. Nous voulons aussi plus d'ambition : dès lors que l'Europe est très attractive, très sollicitée par ses partenaires des pays tiers, elle doit se montrer plus exigeante sur le contenu des accords signés. Au-delà du simple libre-échange, ces accords doivent être élargis aux enjeux climatiques, sociaux et environnementaux. Il faut les tirer vers le haut. Nous n'avons pas encore gagné, mais c'est un combat nécessaire. D'autant que, en termes de fonctionnement des institutions, il faut aussi que ces accords très larges puissent être ratifiés par les parlements nationaux. Il est indispensable d'obtenir une bonne appropriation par chaque État membre de ce qui est décidé à 28 aujourd'hui et le sera à 27 demain.

B. B. - La France serait-elle favorable à l'extension du vote à la majorité qualifiée aux domaines où, aujourd'hui, l'unanimité reste de mise ?

N. L. - Nous y sommes favorables en ayant bien conscience que le vote à la majorité qualifiée …