Il a été la surprise des primaires du parti travailliste en juillet dernier. Avi Gabbay, nouveau venu en politique, a raflé la mise en devançant des personnalités comme Isaac Herzog, Amir Perez ou Erel Margalit.
Né à Jérusalem il y a 50 ans dans une famille originaire du Maroc, Avi Gabbay a été marqué, dans sa jeunesse, par l'arrivée au pouvoir d'un homme politique qui allait changer pour longtemps la face du pays : Menahem Begin. Fondateur du Likoud en 1973 avec Ariel Sharon, Begin avait pris en 1977 les commandes d'un État où l'élite ashkénaze travailliste gouvernait jusque-là sans partage. En redonnant leur fierté aux familles juives originaires du Maghreb et du Moyen-Orient, en s'adressant à elles, en les faisant exister politiquement et socialement, M. Begin a créé un électorat particulièrement fidèle.
Avi Gabbay est issu d'une de ces familles orientales où l'on vote Likoud par atavisme depuis plus de 40 ans. Lui-même, cependant, s'est forgé une sensibilité de gauche et a principalement choisi le parti travailliste aux élections législatives.
D'origine sociale différente de la plupart de ses prédécesseurs à la tête des travaillistes, M. Gabbay n'est pas non plus issu du sérail politique, mais du monde des affaires : titulaire d'un MBA en économie obtenu à l'Université hébraïque de Jérusalem, il a présidé de 2007 à 2013 la compagnie de télécommunications Bezeq, où il avait été recruté en 1998. Entré en politique il y a seulement 2 ans, il a rejoint le parti de centre droit Koulanou fondé par l'actuel ministre des Finances, Moshe Kahlon. Cette formation se présente comme une option alternative au Likoud : si elle défend un programme identique à celui de la droite sur les sujets sécuritaires, elle prône, en revanche, une approche économique plus étatiste. Une posture qui lui a permis de récolter 7,5 % des suffrages et dix sièges à la Knesset aux élections législatives de 2015. Brièvement ministre de l'Environnement du gouvernement de Benyamin Netanyahou, M. Gabbay a démissionné de ses fonctions en mai 2016 pour protester contre l'éviction du ministre de la Défense Moshe Yaalon. Le remplacement de ce dernier par Avigdor Lieberman, le chef du parti nationaliste Israel Beitenou, a renforcé la conviction de M. Gabbay que la coalition gouvernementale était devenue « extrémiste ». Mais personne ne s'attendait à ce qu'il prenne les rênes des travaillistes. Il y est pourtant parvenu en quelques mois : en décembre 2016, il quitte Koulanou et devient membre du parti travailliste ; il se porte peu après candidat à la présidence de cette grande formation, se qualifie début juillet pour le second tour face à Amir Peretz, ancien chef du parti (2005-2007) et l'emporte de justesse, le 10 juillet, avec 52,07 % des suffrages.
Depuis sa prise de fonctions, Avi Gabbay cherche à courtiser ces électeurs de droite qui votent systématiquement pour le Likoud. Il leur propose un État plus protecteur tout en flattant leurs tendances conservatrices en matière de questions sociétales et de sécurité. Ainsi a-t-il récemment fait du pied aux traditionalistes religieux en reprenant à son compte une formule que l'actuel premier ministre Benyamin Netanyahou a prononcée en 1997 : « La gauche a oublié ce qu'être juif signifie. » Sur les colonies, il a fait gloser en affirmant qu'une solution politique avec les Palestiniens ne devait pas nécessairement entraîner le démantèlement des implantations. Enfin, au moment de l'annonce du président américain Donald Trump sur la reconnaissance de Jérusalem en tant que capitale d'Israël, Gabbay a seulement relevé qu'une telle reconnaissance n'avait rien de nouveau et que la ville avait toujours tenu une place centrale pour les Juifs d'Israël comme pour ceux de la diaspora. « Les Américains ne nous ont rien appris », a-t-il conclu.
Les derniers sondages donnent l'Union sioniste (la coalition formée du parti travailliste, du parti de centre gauche Hatnuah et du Mouvement Vert, écologiste) en deuxième position derrière le Likoud. Avi Gabbay a au plus deux ans pour convaincre ses électeurs : les prochaines élections législatives auront lieu en novembre 2019, si l'actuelle coalition gouvernementale va au terme de son mandat.
A. M.
Aude Marcovitch - Pourquoi avez-vous désiré diriger le parti travailliste ?
Avi Gabbay - D'abord, parce que je partage les idées de ce parti. Ensuite, parce que pour changer la culture politique en Israël - et c'est mon but -, il faut être premier ministre. Or, pour devenir premier ministre en Israël, il faut être issu soit du Likoud soit du parti travailliste.
A. M. - Précisément, quelles sont les idées du parti travailliste auxquelles vous adhérez ?
A. G. - Commençons par le type de rapports avec les Palestiniens que préconise mon parti. Nous croyons dans la paix ; nous croyons dans une solution à deux États ; nous croyons que nous devons initier des négociations ; nous croyons que nous devons améliorer le niveau de vie des Palestiniens ; et nous croyons que nous devons nous séparer d'eux pour ne plus contrôler la vie de 4,5 millions de personnes. Pour ce qui concerne les questions de sécurité, en revanche, il n'y a pas de grande différence entre le Likoud et nous. Dans ce domaine, les deux partis sont favorables à la plus grande fermeté.
Nous nous opposons au parti de Benyamin Netanyahou sur les aspects sociaux et économiques : nous sommes des sociaux-démocrates, contrairement au Likoud. Je crois que nous devons non seulement développer notre économie mais, aussi, en partager les fruits entre tous de manière équitable. Le gouvernement doit être impliqué dans la vie des gens. Je rejette la vision des Républicains américains ou de Benyamin Netanyahou qui consiste à féliciter ceux qui connaissent le succès, mais à ne pas s'occuper de ceux qui n'arrivent pas à s'en sortir. Nous croyons, nous, dans la solidarité.
A. M. - De quelle tradition politique êtes-vous issu ? Quels ont été vos choix électoraux jusqu'à présent ?
A. G. - J'ai grandi dans un environnement totalement pro-Likoud : mes parents, mes frères et soeurs, tout le quartier votait Likoud ! Il s'agissait d'une sorte de tradition pour ces gens qui avaient cru en Menahem Begin quand il avait pris la tête du parti et qui, depuis, offraient systématiquement leurs suffrages au Likoud. Pourtant, ils ne partageaient pas les valeurs sociales et économiques de cette formation de droite. Bien au contraire : sur ces questions, ils étaient plus sensibles aux positions des travaillistes. Mais ils estimaient que le Likoud leur apportait la sécurité et était plus proche d'eux - en effet, ils percevaient le parti travailliste comme une formation composée d'élites indifférentes à leur sort.
Personnellement, j'ai voté la plupart du temps pour les travaillistes, mais je ne l'ai jamais fait de façon automatique. À chaque élection, je me suis demandé à quel dirigeant j'allais donner mon vote. C'est ainsi que j'en suis arrivé à voter pour Ariel Sharon à l'époque où il était à la tête du Likoud. Mais aux dernières élections j'ai, bien sûr, voté pour Koulanou, puisque je faisais partie de cette formation.
A. M. - Ces électeurs issus des classes moyennes et modestes qui soutiennent le Likoud …
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