La crise catalane

n° 158 - Hiver 2018

Après plusieurs mois d'une crise institutionnelle aussi grave pour l'Espagne que le putsch raté du 23 février 1981 (1), la convocation par Madrid de nouvelles élections au Parlement catalan le 21 décembre 2017 pouvait nourrir l'espoir d'une clarification de la situation, à défaut d'une résolution complète. La Catalogne n'est pas la seule des 17 Communautés autonomes d'Espagne à compter un mouvement indépendantiste significatif, ni même la seule où des indépendantistes ont siégé au gouvernement régional : c'est aussi le cas du Pays basque (2,2 millions d'habitants), de la Navarre (640 000) et de la Galice (2,7 millions). Mais la Catalogne est bien plus peuplée (7,5 millions d'habitants) et son gouvernement autonome est le seul à faire de la sécession un objectif officiel - et cela, depuis fin 2012 (2).

Les résultats des élections du 21 décembre 2017, les troisièmes centrées sur l'indépendance depuis 2012, jettent une lumière crue sur les multiples fractures de la société catalane et suggèrent que la crise, dans ses différentes dimensions - catalane, espagnole, européenne - pourrait bien durer.

Les résultats des élections catalanes du 21 décembre 2017

Commençons par une précision indispensable : aucun des trois partis indépendantistes catalans n'est arrivé en tête du scrutin du 21 décembre 2017. Pour la première fois lors d'une élection au Parlement de Catalogne, c'est un parti non nationaliste catalan, Ciudadanos (Citoyens), qui a obtenu la première place avec 1,2 million de voix, 25 % des suffrages et 36 députés sur 135 (3). Mais il n'est pas en état de gouverner, faute de majorité absolue (il lui faudrait détenir 68 sièges sur 135) et d'alliés suffisants pour l'atteindre. En effet, le soutien d'un Parti populaire (celui de Mariano Rajoy, au pouvoir à Madrid) laminé n'ajouterait que 4 sièges aux siens. Quant aux socialistes catalans du PSC (18 sièges) et aux alliés catalans de Podemos (8 sièges), deux partis eux aussi hostiles à l'indépendance, ils ont exclu de s'allier à Ciudadanos... et, de toute façon, une telle coalition ne disposerait pas, non plus, de la majorité absolue puisqu'elle ne cumulerait que 62 sièges.

C'est ainsi que, au lendemain du 21 décembre, les indépendantistes semblaient, eux, à même de former un nouveau gouvernement puisque leurs trois formations réunissaient 70 députés sur 135 sièges. Junts Pel Cat (Ensemble pour la Catalogne), la liste de l'ex-président Carles Puigdemont, a obtenu 34 députés ; ERC (Gauche républicaine de Catalogne, parti de l'ex-vice-président Oriol Junqueras), 32 députés ; et la CUP (Candidature d'unité populaire, parti indépendantiste d'extrême gauche), 4 députés.

Mais l'arithmétique ne dit pas tout : 3 des 70 élus, dont Oriol Junqueras, étaient en détention préventive lors du scrutin, et 5 autres, dont Carles Puigdemont, en fuite à Bruxelles (4). En attendant une éventuelle normalisation de la situation de ces huit personnalités, seuls 62 élus indépendantistes étaient en mesure de siéger - alors que, répétons-le, il faut 68 sièges pour détenir la majorité absolue.

La situation restait bloquée au lendemain du scrutin car l'immunité parlementaire exige que l'élu puisse prendre possession de son …