Né en 1956, Peter Maurer a dirigé la Mission permanente de la Suisse auprès des Nations unies à New York. À ce poste, qu'il a rejoint en 2004, l'ambassadeur s'est efforcé d'intégrer son pays, devenu membre de l'ONU en 2002 seulement, dans les réseaux internationaux. Revenu à Berne en 2010 pour devenir secrétaire d'État aux Affaires étrangères, il assure la présidence du CICR depuis 2012.
Créé en 1863, le Comité international de la Croix-Rouge travaille aujourd'hui dans plus de 80 pays. Institution neutre et indépendante, elle tire l'essentiel de son mandat des Conventions de Genève et des traités internationaux qui dictent les règles à respecter dans les conflits armés, notamment en ce qui concerne la protection des civils, des blessés et des prisonniers de guerre. Basé à Genève, le Comité s'emploie à promouvoir le respect du droit international humanitaire sur les champs de bataille du monde entier ainsi que son intégration dans les législations nationales. Sa neutralité lui vaut parfois des critiques mais lui ouvre aussi des portes que les organisations humanitaires traditionnelles peinent à franchir.
Le droit international humanitaire qui, au fil du temps, a su épouser tous les changements intervenus dans la conduite des opérations militaires, doit à présent relever un défi immense : il lui faut s'adapter aux nouvelles formes de conflits que constituent le terrorisme et la cyber-guerre. Ce défi, la Croix-Rouge l'affronte avec détermination.
I. L.
Isabelle Lasserre - Comment le droit international humanitaire s'adapte-t-il aux différents types de conflits ?
Peter Maurer - Je voudrais d'abord clarifier certaines choses. Dans tous les pays du monde, il existe des règles anciennes et coutumières qui limitent le comportement des belligérants dans la guerre. Ces normes, qui datent d'avant les textes de Genève et leurs protocoles additionnels (1), sont souvent très importantes et, même si leurs règles ne sont pas équivalentes aux Conventions, elles peuvent servir à créer des ponts avec le droit international humanitaire. En ce sens, le droit international humanitaire fait écho à des valeurs universelles, applicables à tous les conflits. La deuxième précision concerne les droits de l'homme : ils reflètent un projet de société dans lequel les droits individuels et collectifs sont protégés contre l'exercice abusif ou arbitraire du pouvoir par l'État. Le droit international humanitaire, lui, n'obéit pas à la même logique : par essence, il vise à obtenir un consensus minimum d'humanité entre les parties à un conflit en régulant la conduite des hostilités et en garantissant la protection des personnes. Ce consensus minimum, c'est-à-dire le socle sur lequel les États se sont universellement mis d'accord, est aujourd'hui remis en cause.
I. L. - Dans quelles régions du monde ?
P. M. - Essentiellement en Syrie, mais pas uniquement. Les belligérants font appel à deux types d'arguments pour se soustraire au droit international humanitaire. Le premier est d'ordre transactionnel. Au Sud-Soudan, au Proche-Orient, on a tendance, sur le champ de bataille, à considérer le droit international non pas comme une obligation mais comme un moyen de transiger avec l'adversaire, de s'arranger avec lui ou d'obtenir quelque chose en échange. « Je ne te bombarde pas si tu ne me bombardes pas. Je ne torture pas si tu ne tortures pas » : voilà le type de chantage auquel on assiste de nos jours. Or, par nature, le droit humanitaire n'est pas soumis à la réciprocité : les combattants ne peuvent donc pas manquer à leurs obligations humanitaires sous prétexte que leur ennemi ne respecte pas le droit de la guerre.
Le second argument repose sur l'exceptionnalisme. Il est souvent invoqué en matière de lutte contre le terrorisme. Certains États estiment que les méthodes de guerre utilisées par les terroristes sont à ce point inhumaines et violentes qu'ils peuvent s'affranchir des règles de base dans la conduite des hostilités contre ces groupes. J'essaie de leur expliquer que le droit limite l'usage de la force, même en temps de guerre, et qu'il est essentiel de respecter un certain nombre de principes. Par exemple, le droit international humanitaire protège les personnes civiles et celles qui sont hors de combat. Il impose aux belligérants parties au conflit de rechercher, de recueillir et d'évacuer les blessés et les malades, y compris ceux de l'ennemi.
I. L. - Pouvez-vous illustrer ces propos par un exemple concret ?
P. M. - En Syrie, j'ai rencontré, dans les régions assiégées, un commandant de l'opposition. Il promettait d'infliger à ses prisonniers …
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