Lorsque la guerre civile éclate en 2011, la Russie, qui est liée à la Syrie par un traité de coopération depuis 1980, n'y a plus que des intérêts très réduits. Les quelques contrats d'armements et d'extraction d'hydrocarbures n'ont pas dépassé un milliard de dollars en vingt ans (1). Quant à la base navale de Tartous, accordée à l'Union soviétique, elle est alors occupée par moins de 50 marins russes et, selon l'ambassadeur à Damas, sert d'« entrepôt de pièces détachées ».
Quatre ans plus tard, cette même Russie a engagé un corps expéditionnaire militaire puissant qui constitue le fer de lance de la reconquête du territoire par l'alliance pro-Assad. Dans le même temps, et malgré l'hostilité au régime de Damas de la plupart de ses voisins, Moscou coopère avec plusieurs pays arabes, la Turquie et même Israël. Elle est redevenue aujourd'hui un acteur incontournable, en Syrie bien sûr où elle dirige de fait les évolutions politiques, mais aussi dans la région où elle se pose en nouvel interlocuteur face aux États-Unis. Avec une certaine habileté, et pour l'instant avec succès, la Russie a su transformer une contrainte - le soutien au régime d'Assad - en un atout pour mener une politique de puissance.
Une vision russe de la Syrie
Au début de la révolution syrienne, en 2011, la Russie suit les événements avec une grande attention car, de tous les mouvements du printemps arabe, c'est celui qui pourrait entraîner pour elle les conséquences les plus lourdes. Moscou voit dans cette crise l'occasion de pousser ses pions dans la région tout en mettant un coup d'arrêt à l'activisme des États-Unis sur la scène internationale. Depuis l'accession au pouvoir de Vladimir Poutine en 2000, la diplomatie russe s'appuie sur la charte des Nations unies et sur le principe de souveraineté des États pour dénoncer la politique de « regime change » menée par Washington, directement ou en sous-main, de l'arrestation de Manuel Noriega au Panama en 1990 jusqu'à la mort de Mouammar Kadhafi en 2011 (2). À cet égard, l'intervention de l'Otan en Libye a constitué un tournant. Les Russes, qui s'étaient abstenus lors du vote au Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU), estiment que les Occidentaux ont outrepassé le texte de la résolution 1973 - laquelle ne prévoyait pas la chute du régime de Tripoli. Avec la crise syrienne, ils tiennent leur revanche et vont pouvoir montrer que le temps de l'unilatéralisme et de l'« hyperpuissance » américaine est bel et bien terminé (3).
Cette crise leur permet aussi de réaffirmer le rôle de la Russie en tant que puissance dans le nouveau cadre multilatéral. Cet objectif est même devenu prioritaire après les sanctions occidentales qui ont suivi l'annexion de la Crimée en 2014. La Syrie et par extension l'ensemble du Proche-Orient représentent un espace ouvert qui doit permettre à Moscou de briser son isolement diplomatique et d'apparaître comme un acteur indispensable sur la scène mondiale. Face à une Amérique au comportement parfois erratique, la Russie affirme la solidité de …
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