Après de longues décennies de paix, une guerre de grande ampleur paraît de plus en plus improbable. Pourtant, l'Histoire est bien une succession de bouleversements géopolitiques séparés par des accalmies. Un phénomène comme l'effondrement, en période de paix, de l'URSS, sur un mode similaire à celui que connut l'Allemagne en 1918 à la fin de la Première Guerre mondiale, montre que tout reste possible. L'avènement de l'ère nucléaire n'empêche pas la survenue de tels bouleversements ; tout au plus en modifie-t-il les conditions de réalisation.
Nous sommes précisément à l'aube de troubles majeurs dans l'ordre géopolitique international qui seront le fruit d'évolutions lentes. Prétendre pouvoir prédire quels seront les futurs théâtres de conflits, les principales manoeuvres et l'issue des affrontements peut sembler extrêmement présomptueux. Pour autant, l'analyse des trajectoires historiques de longue durée permet de lire le monde d'une autre façon et d'en anticiper non seulement les évolutions continues, mais aussi les ruptures. La future conflagration se déroulera sur trois théâtres majeurs : l'Europe, l'Asie du Sud-Est et le Moyen-Orient.
Ces prévisions pourront paraître extrêmes, voire farfelues, pour les lecteurs habitués depuis des décennies à une relative stabilité du monde. C'est pourquoi il faut garder plusieurs points essentiels à l'esprit.
D'abord, il faut se souvenir que les guerres de très grande ampleur n'ont jamais commencé en tant que telles. Au départ, ceux qui les déclenchent tablent sur un conflit bref et limité susceptible de leur procurer des gains rapides. Elles cessent donc d'être improbables dès lors que de grandes puissances commencent à envisager sérieusement la possibilité de modifier l'ordre existant par une intervention militaire, si modeste soit-elle.
Ensuite, il ne faut pas perdre de vue le fait que tous les dirigeants ne raisonnent pas de la même manière. Cette remarque peut sembler triviale, mais elle traduit une réalité profonde et lourde de conséquences lorsque l'on s'engage dans une démarche prospective : tous les peuples ne marchent pas du même pas et ne sont pas alignés sur la manière occidentale et post-1945 de penser l'intérêt national et les relations internationales. Il faut donc veiller à ne pas écarter certaines hypothèses au prétexte qu'elles semblent absurdes au regard de l'intérêt économique immédiat, comme cela est trop souvent le cas : pensons à ce commentaire mille fois entendu qu'une guerre entre la Chine et les États-Unis serait improbable en raison de leur interdépendance économique. Le raisonnement est valable pour un Européen de ce début de XXIe siècle, mais il ne l'était pas pour les Européens de 1914 dont l'interdépendance économique n'était pas moindre, et ne l'est pas non plus, aujourd'hui, pour nombre de puissances émergentes, notamment en Asie.
Il faut, enfin, se défaire de l'illusion selon laquelle la guerre serait d'autant moins probable que la paix dure depuis longtemps. En effet, l'Histoire a ceci de commun avec les mouvements des plaques tectoniques que les grands bouleversements sont peu fréquents et séparés par de longues périodes de gestation : des tensions s'accumulent, des contraintes tourmentent les fondations de l'ordre mondial, et leur relâchement provoque …
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