En Ukraine, il est souvent l'homme par qui le scandale arrive. En 2015, en pleine réunion gouvernementale, il avait jeté un verre d'eau au visage de Mikheïl Saakachvili, l'ancien gouverneur d'Odessa, qui l'avait accusé d'être « corrompu ». Son fils, qui a combattu au sein des forces spéciales de la police à Lougansk, a été interpellé par le Bureau anti-corruption. Lui-même a été pris à partie par le grand rabbin d'Ukraine, qui a regretté qu'il ait nommé à la tête de la police de Kiev un ancien commandant du régiment Azov, proche de l'extrême droite. On lui a aussi reproché d'avoir distribué des pistolets à ses soutiens politiques, dont plusieurs députés...
D'origine arménienne, né en 1964 à Bakou (Azerbaïdjan) dans une famille de militaires, Arsen Avakov vit en Ukraine depuis l'âge de deux ans. Avocat, homme d'affaires, il a d'abord été l'un des compagnons de route de l'ex-première ministre Ioulia Timochenko, la dame à la natte blonde, avant de co-fonder le parti Front populaire avec Arseni Iatseniouk. Devenu premier ministre après la révolution de 2014, ce dernier l'a nommé à l'Intérieur. Il est resté en poste après que Iatseniouk eut présenté sa démission à l'issue d'un long conflit avec le président Porochenko dont l'intensité a souvent détourné les ministres de leur objectif de réforme.
Malgré une assez faible popularité, Arsen Avakov est aujourd'hui l'un des hommes politiques les plus puissants d'Ukraine. Il contrôle non seulement la police, mais aussi la Garde nationale dont les hommes sont souvent mieux équipés que les militaires. Son influence sur ces forces armées serait l'une des raisons pour lesquelles Petro Porochenko n'a jamais osé se débarrasser de lui. Sûr de lui, sanguin et physique, il est considéré comme un dur avec lequel la politique ukrainienne devra sans doute compter encore longtemps.
I. L.
Isabelle Lasserre - Que ressentez-vous en tant que ministre de l'Intérieur d'un pays en guerre ?
Arsen Avakov - C'est un poids très lourd, pour de nombreuses raisons, la principale étant qu'on est pris dans un tourbillon sans fin. Dans un pays en paix, il arrive qu'un ministre de l'Intérieur soit confronté à un événement qui sort de l'ordinaire, mais c'est finalement assez rare. En Ukraine, la gestion des situations extraordinaires est mon lot quotidien. Je dois donc être sur le qui-vive en permanence, constamment prêt à réagir, à imaginer des solutions pour régler les crises qui se succèdent. Il faut pouvoir tenir le coup. C'est un travail épuisant physiquement et psychologiquement. Il ne me reste guère de temps pour les émotions... Si j'avais le choix, je préférerais être ministre en France, où tout est stable et prévisible !
I. L. - Comment les rapports de forces militaires évoluent-ils à l'est de l'Ukraine (1) ?
A. A. - Les forces armées ukrainiennes comptent environ 250 000 hommes, sans compter les 40 000 qui appartiennent à la Garde nationale (2). Dans la zone de conflit, nous avons projeté le même nombre d'hommes en armes que les séparatistes et les Russes, c'est-à-dire 50 000.
I. L. - Vous demandez depuis longtemps aux Occidentaux de vous fournir des armes pour pouvoir vous défendre contre les Russes. L'administration Trump est-elle prête à vous les donner ? Quel type d'armes lui réclamez-vous ?
A. A. - La question n'est pas seulement liée au type d'armes dont nous avons besoin. Bien sûr, nous serions ravis d'avoir un porte-avions, enchantés d'avoir hérité des Mistral (3) que la France voulait vendre à la Russie, heureux de disposer de tous les armements qui nous permettraient de vaincre nos ennemis. Mais il s'agit aussi d'une question de principe. Si nos partenaires occidentaux nous fournissaient des armes, cela voudrait dire qu'ils seraient enfin déterminés à nous soutenir. Les Américains ont livré des missiles anti-chars Javelin à la Géorgie. Ils n'ont pas encore fait ce geste pour l'Ukraine.
I. L. - Pourquoi ?
A. A. - Je vais vous livrer mon avis personnel. Le monde occidental a tendance à vivre replié sur lui-même sans se préoccuper de son entourage proche ni des drames qui se nouent à ses frontières. Cette attitude est à la fois injuste et dangereuse. Injuste, parce que l'Occident est censé nous soutenir militairement depuis que les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France ont signé en 1994 le mémorandum de Budapest (4) qui garantit la sécurité de l'Ukraine et son intégrité territoriale. Injuste, aussi, car il devrait nous être reconnaissant d'avoir évité la faillite à l'Ukraine, malgré la guerre et les problèmes économiques. Dangereux, car nous sommes la dernière ligne de défense contre ce chien fou de Poutine qui aboie à nos frontières. Nous avons compté et nous comptons toujours sur le soutien des Occidentaux. Or ils se comportent parfois comme s'ils ne remarquaient pas la détresse dans laquelle nous nous trouvons, comme s'ils étaient aveugles à notre souffrance. …
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