Quo vadis Polonia ?

n° 158 - Hiver 2018

Fossoyeur en à peine deux ans de la jeune démocratie polonaise, Jaroslaw Kaczynski, le chef du parti Droit et Justice (PiS) arrivé au pouvoir en novembre 2015, fonde sa stratégie sur les laissés-pour-compte des transformations postcommunistes (catégories les moins instruites ; habitants des petites villes à l'écart des grands axes de développement, particulièrement dans l'est du pays ; ceux des zones rurales déprimées, notamment dans les régions des anciens « kolkhozes »)... Après avoir significativement amélioré la situation matérielle de ces couches de la population, il leur a offert une préséance absolue sur la scène politique en déclarant qu'il s'agissait des seuls citoyens dignes de considération et en rejetant les élites dans l'opprobre de la trahison nationale. Exigeant d'être maître chez lui, il remet en cause l'État de droit et nargue l'Union européenne qui menace la Pologne de lui retirer son droit de vote à Bruxelles.

Jusqu'où la Pologne ira-t-elle sous la férule de Kaczynski ? Va-t-elle définitivement rompre avec les valeurs reconnues de la démocratie libérale ? Faut-il s'attendre à ce qu'elle tourne le dos à l'Union européenne, voire la quitte à court terme ? Et, dans un tel cas de figure, ne retombera-t-elle pas dans l'orbite russe, en dépit de l'hostilité affichée du pouvoir actuel envers le régime de Vladimir Poutine ?

Pour répondre à ces questions, il faut procéder en deux temps. D'abord, retracer l'évolution que la Pologne a connue depuis sa sortie des ruines du communisme ; puis exposer en quoi l'arrivée au pouvoir de Droit et Justice a bouleversé son destin.

De Walesa à Kaczynski

En 1991, deux ans après les négociations de la Table ronde d'avril 1989, les premières élections totalement libres marquent le renouveau de l'État polonais. Comme au lendemain de la Première Guerre mondiale, la tâche est immense, mais rien ne paraît pouvoir entraver l'optimisme d'un peuple auréolé de la gloire d'avoir fait tomber le communisme en Europe. Le héros de cette lutte, Lech Walesa, devient président de cette Troisième république et inscrit son projet sous l'enseigne d'un libéralisme sans faiblesse. C'est l'heure de la thérapie de choc qu'orchestre le ministre des Finances Leszek Balcerowicz, conseillé par l'économiste américain Jeffrey Sachs. La Pologne connaît une augmentation spectaculaire de son PIB (de 138 % entre 1991 et 2016) qui lui vaut le surnom de « Tigre européen », mais ces succès sont obtenus au prix de l'appauvrissement de nombreuses couches de la population.

De 2005 à 2007, la ligne libérale est remise en question une première fois par l'arrivée au pouvoir de Droit et Justice et l'élection de Lech Kaczynski, frère jumeau de Jaroslaw, au poste de président de la République. Mais les législatives de 2007 sont perdues au profit de la Plateforme civique de Donald Tusk qui devient premier ministre et doit cohabiter avec Lech Kaczynski jusqu'à la disparition de celui-ci dans le crash de son avion à Smolensk, en Russie, le 10 avril 2010. La Plateforme civique, en coalition avec le petit Parti paysan, s'empare alors de tous les leviers du …