En septembre 2017, en marge de l'Assemblée générale des Nations unies à New York, le docteur Denis Mukwege, médecin-chef de l'hôpital de Panzi, au sud de Bukavu, a abordé le sort d'un « grand malade » : son pays, la République démocratique du Congo, qui s'enfonce dans la crise.
Dans les forums internationaux, la voix de ce gynécologue congolais de 62 ans, surnommé « l'homme qui répare les femmes », est très écoutée. Chaque année, lorsqu'il s'agit de décerner le prix Nobel de la paix, son nom est cité parmi les candidats les plus sérieux. S'il est régulièrement reçu en audience par les « Grands » de ce monde, y compris récemment par Emmanuel Macron, et se voit régulièrement décerner des distinctions honorifiques, dans son pays le médecin n'est connu que par la vertu du « bouche-à-oreille » : les télévisions locales l'ignorent superbement, de crainte de déplaire aux autorités, et la classe politique voit en lui un concurrent potentiel d'autant plus dangereux qu'il fait cavalier seul et refuse toutes les compromissions avec le pouvoir. Le nom de cette personnalité intègre, figure marquante de la société civile, est cependant régulièrement cité comme possible dirigeant d'une « transition sans Kabila » qui se produirait dans le cas où, de gré ou de force, le président sortant serait amené à quitter le pouvoir. En effet, alors que son deuxième mandat est arrivé à expiration en décembre 2016, le chef de l'État est toujours en poste et la Commission électorale indépendante a annoncé que les élections n'auraient lieu que le 23 décembre 2018. Ce « bonus » de deux ans est largement récusé par une population qui subit la détérioration de la situation économique (le franc congolais a perdu la moitié de sa valeur), mais la communauté internationale a fini par se ranger à l'avis de Nikki Haley, la représentante américaine aux Nations unies qui a déclaré accepter ce « dernier délai ». Sur le terrain, cependant, les manifestations, durement réprimées, se multiplient, la violence s'étend et la moindre étincelle pourrait entraîner une explosion aux conséquences imprévisibles.
C. B.
Colette Braeckman - Votre père était pasteur ; pourquoi êtes-vous devenu médecin ?
Denis Mukwege - Lorsque mon père, qui avait ouvert à Bukavu la première église protestante de la capitale du Sud-Kivu, rendait visite à des malades, je l'accompagnais souvent. Je constatais qu'il priait intensément, mais qu'il ne faisait rien pour soigner ses ouailles. « Cela, c'est le travail du médecin », expliquait-il. Même si j'étais - et je reste - très croyant, j'ai alors décidé que j'allais devenir médecin pour essayer de sauver des vies. J'ai fait mes études de médecine à Bujumbura. Ma vocation initiale était de devenir pédiatre mais, pendant un stage dans ma région natale, près de Lemera au Sud-Kivu, j'ai été frappé par le nombre de femmes qui mouraient en couches : obligées de parcourir de longues distances portées sur des brancards, elles succombaient avant même d'atteindre l'hôpital. J'ai donc bifurqué et choisi de devenir gynécologue obstétricien. J'ai …
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