Les Grands de ce monde s'expriment dans

Aider les réfugiés : un devoir international

Depuis le 1er janvier 2016, Filippo Grandi dirige le Haut-Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés (HCR), institution fondée le 14 décembre 1950 par l'Assemblée générale des Nations unies. À l'époque, son objectif premier était de venir en aide aux Européens déplacés après la Seconde Guerre mondiale ; aujourd'hui, elle porte secours aux réfugiés du monde entier. Ce diplomate de longue expérience est né à Milan en 1957. Il est titulaire d'une licence en histoire contemporaine de l'Université de Milan, d'une licence en philosophie de l'Université grégorienne de Rome et d'un doctorat honoris causa de l'Université de Coventry.
Avant d'être élu pour un mandat de cinq ans à la tête de l'une des plus grandes organisations humanitaires mondiales, Filippo Grandi a travaillé plus de trente ans dans le domaine de la coopération internationale. Il a servi en Afrique, en Asie et au Moyen-Orient avant de rejoindre l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les Réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA en anglais). Il en a été Commissaire général adjoint de 2005 à 2010, puis Commissaire général de 2010 à 2014. Inlassablement, Filippo Grandi parcourt les théâtres de détresse du monde, appelant au respect des droits des réfugiés et des personnes déplacées à la suite de guerres et de conflits, et à la solidarité de la communauté internationale en leur faveur ; demandant 951 millions de dollars pour soutenir financièrement le Bangladesh qui héberge près de 1 million de Rohingyas qui ont fui les persécutions ethniques au Myanmar ; invitant les pays d'Amérique centrale à venir au secours des déplacés du Venezuela ; ou encore s'indignant devant le spectacle de civils contraints de fuir les bombes. « Les enfants doivent jouer, apprendre et rêver d'un futur. Pas être transportés dans des valises pour fuir les conflits », a-t-il twitté devant la photo d'une fillette fuyant avec son père la Ghouta prise d'assaut par l'armée syrienne. Lors de la Journée mondiale des réfugiés, en juin 2017, Filippo Grandi avait rendu hommage « au courage et à la résilience » des quelques 65 millions de réfugiés et déplacés dans le monde, ainsi qu'aux communautés et aux pays qui les accueillent : « Nous vivons aujourd'hui dans un monde où les incertitudes abondent. (...) La peur et l'exclusion ne nous mèneront pas vers un monde meilleur. Elles ne peuvent que conduire à la construction de barrières, à l'aliénation et au désespoir. Le temps est venu de changer de trajectoire. »
R. H.

Richard Heuzé - Monsieur le Haut-Commissaire, peut-on dire que vous exercez actuellement, avec le Haut-Commissaire aux droits de l'homme, le prince Zeid Ra'ad Al Hussein (1), le job le plus difficile des Nations unies ?
Filippo Grandi - Cette formule vaut pour lui bien plus que pour moi...
R. H. - Vous avez dit que, pour vous, l'année 2018 avait commencé « dans l'appréhension ». Qu'en est-il aujourd'hui ? Pouvez-vous dresser un état des lieux du domaine qui est le vôtre ?
F. G. - Le contexte est difficile. Nous sommes en présence d'une multitude de crises qui ne trouvent pas de solutions. Certains de ces conflits, comme l'Afghanistan ou la Somalie, sont très anciens ; d'autres, comme la Syrie, sont plus récents ; d'autres encore viennent d'éclater, en Afrique surtout. Résultat : à côté des 22 millions de réfugiés, il y a plus de 40 millions de personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays. Nous estimons donc que, actuellement, entre 65 et 70 millions de personnes sont, si l'on peut dire, de notre ressort. Et malheureusement, aucun de ces conflits n'est en passe d'être résolu. Je l'ai dit au Conseil de sécurité. Nous sommes incapables de faire la paix.
À 85 %, ces réfugiés et déplacés se trouvent dans des pays pauvres ou à revenu moyen, comme la Jordanie. Le phénomène migratoire, que les pays riches considèrent souvent comme une invasion et une menace, grève en premier lieu les pays pauvres et même très pauvres. Aujourd'hui, les réfugiés sont très peu nombreux à arriver en Europe, du fait du blocage des flux migratoires (d'un côté comme de l'autre). On me demande souvent, y compris dans les milieux académiques, si la crise des réfugiés est terminée. Eh bien, je trouve scandaleux qu'on oublie qu'il y a une quinzaine de pays en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie qui hébergent la grande majorité de ces réfugiés et qui font face à des problèmes financiers, sociaux, économiques et politiques majeurs du simple fait qu'ils se trouvent géographiquement à proximité de pays en guerre. L'enjeu principal se trouve là. Quant aux ressources que le HCR reçoit traditionnellement pour aider ces pays (2), je ne dirai pas qu'elles diminuent ; en fait, elles restent stables. Mais elles ne s'accroissent pas dans la même mesure que les besoins.
R. H. - Y a-t-il des constantes dans ces mouvements de réfugiés ?
F. G. - On voit apparaître un phénomène nouveau : une mobilité majeure des gens qui fuient leur pays. D'où un autre problème : les réfugiés, c'est-à-dire des personnes qui fuient pour des « raisons de protection », comme on le dit au HCR ou au CICR (Comité international de la Croix-Rouge), se mélangent dans ces mouvements de populations aux migrants économiques qui, eux, quittent leur patrie pour des raisons économiques ou sociales et vont chercher une vie meilleure ailleurs. Il faut toujours distinguer entre les migrants économiques et les réfugiés. Les uns comme les autres ont des droits et des vulnérabilités. Mais …