Les Grands de ce monde s'expriment dans

États baltes :des centenaires convalescents

L'année 2018 aurait dû être marquée, dans les trois Républiques baltes, par la satisfaction et la simple joie de franchir le cap des cent ans. Avant tout symbolique, cette étape est en principe synonyme de permanence, de stabilité des institutions et, dans le cas de régimes démocratiques comme ceux de l'Estonie, de la Lettonie et de la Lituanie, d'une certaine maturité politique. On pouvait s'attendre à des célébrations d'autant plus jubilatoires que le chemin emprunté fut chaotique, semé de drames et d'occupations. Or, si la joie est bien au rendez-vous des diverses manifestations officielles prévues cette année de Vilnius (au sud) à Tallinn (au nord), si elle est bien partagée dans une majorité des foyers baltes, elle n'est pas pour autant dénuée d'une inquiétude lancinante, de doutes quant à l'avenir et d'hésitations sur la meilleure façon de l'aborder.
Un État devient rarement centenaire dans l'insouciance. On l'a vu en 2017 avec la Finlande, juste au nord, qui fait face à des difficultés économiques et sociales (1). C'est plus vrai encore pour chacune des Républiques baltes parce que les tensions entre la Russie et l'Ouest, dont elles se revendiquent pleinement, ne cessent de monter. La moitié de leur existence s'est déroulée sous le joug soviétique. Le retour à la liberté, en 1991, s'est certes effectué pacifiquement, de manière quasi miraculeuse. Mais l'héritage de cette occupation est encore bien palpable à divers niveaux et le Kremlin se charge d'entretenir les braises en s'appuyant sur les médias et une partie des minorités russe (Lettonie, Estonie) et polonaise (Lituanie).
Cela dit, si l'insouciance est absente de ce rendez-vous balte de 2018, ce n'est pas uniquement la faute de la Russie, contrairement à ce que laissent entendre des responsables locaux. Il faut également mentionner le creusement des inégalités économiques et sociales, la déficience de certaines politiques publiques, le comportement des « élites », etc. Autant de paramètres qui ont contribué au dépeuplement progressif de terres déjà peu populeuses (6 millions de personnes y vivent : 2,81 millions en Lituanie, 1,95 en Lettonie et 1,32 en Estonie). À terme, cette érosion démographique pourrait fragiliser ces États par ailleurs rétifs à l'installation de nouveaux arrivants, surtout si ces derniers ne sont ni blancs de peau ni chrétiens. Cette réalité-là, aussi, est porteuse de dissensions que ne manquent pas d'exploiter les autorités russes et leurs relais locaux. Sans oublier les nationalistes baltes.


De l'indépendance à l'annexion


Profitant de l'écroulement de l'empire tsariste, les Républiques baltes déclarent leur indépendance en 1918 : le 16 février en Lituanie, le 24 février en Estonie et le 18 novembre en Lettonie. D'emblée, le nouveau pouvoir bolchevique et l'Allemagne de l'empereur Guillaume II, puis de la république de Weimar, tentent de s'opposer militairement à ces démarches émancipatrices pour le moins hardies. Les Estoniens et les Lettons n'ont-ils pas eu le bon goût, jusque-là, d'avoir toujours été dominés par tels ou tels grands voisins ? Les Lituaniens, dont l'alliance avec les Polonais, au XVIe siècle, avait peu à peu tourné en leur défaveur, ne …