Le Pakistan sur tous les fronts

n° 159 - Printemps 2018

Un pays à la fois victime et complice du terrorisme ?


« Les États-Unis ont bêtement donné 33 milliards de dollars d'aide au Pakistan ces quinze dernières années, et nous n'avons rien reçu en retour, si ce n'est mensonges et duperie. Ils ont pris nos dirigeants pour des idiots. Ils abritent les terroristes que nous pourchassons en Afghanistan. C'est fini ! » Le tweet rageur de Donald Trump, le matin du 1er janvier, ouvre l'année 2018 sur un horizon de turbulences entre Washington et Islamabad. L'ancien président afghan Hamid Karzaï ne manque pas d'applaudir en pointant, lui aussi via un tweet, la « duplicité du Pakistan » (1). Sur le fond, l'exaspération de Donald Trump ne dit rien d'autre qui n'ait déjà été dit par son prédécesseur Barack Obama, en termes plus diplomatiques mais tout aussi fermes (2). Bien entendu, les choses s'arrangeront une fois encore parce que les États-Unis ont besoin du Pakistan dans leur guerre contre les talibans, ne serait-ce que pour assurer l'approvisionnement terrestre des troupes de l'Otan stationnées en Afghanistan (3). Après quelques vifs échanges entre les exécutifs respectifs, le chef d'état-major pakistanais, le général Javed Bajwa, s'est entretenu deux fois par téléphone avec le chef du Centre de commandement américain (CENTCOM), le général Joseph L. Votel, dont les paroles auraient été apaisantes selon le communiqué de presse du service de relations publiques de l'armée pakistanaise (ISPR) : « Les États-Unis apprécient le rôle du Pakistan dans la guerre contre le terrorisme et supposent que les turbulences actuelles ne seront qu'une phase temporaire » (4).
Il reste que la véhémence du message de Donald Trump reflète sans ambages l'opinion générale de tous les pays engagés dans l'opération « Resolute Support » en Afghanistan et d'à peu près tous les grands médias. Une opinion peut-être trop tranchée. Certes, la politique pakistanaise n'est pas simple à décrypter : si l'armée s'est engagée avec force depuis 2014 dans l'agence tribale du Waziristan limitrophe de l'Afghanistan (5) pour liquider les nids du terrorisme, il n'en demeure pas moins que certains chefs de réseau semblent jouir d'une étonnante impunité, à l'instar de Hafiz Mohammad Saeed, fondateur et chef du Lashkar-e-Taeba et de son alias le Jamaat-ud-Dawa, basés à Lahore (6). Il ne faudrait pas oublier pour autant que le Pakistan a lui-même subi le terrorisme de plein fouet : plus de 63 000 morts depuis 2001 selon South Asia Terrorism Portal (SATP) (7) dont 22 215 civils et 6 927 soldats et policiers - de très lourdes pertes humaines auxquelles s'ajoutent les 33 936 djihadistes tués au cours de la même période. Les différentes opérations militaires ont permis une forte décrue - de 11 704 tués en 2009 à 1 260 en 2017 -, mais Islamabad a surtout frappé le seul réseau qui menace vraiment sa propre sécurité : le Tehrik-i-Taleban Pakistan (TTP). Le TTP, qui regroupe une vingtaine de formations dont des groupes exogènes affiliés à Al-Qaïda (Mouvement islamique d'Ouzbékistan ; Parti islamique du Turkestan oriental - composé d'Ouïghours originaires …