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Poutine et ses services secrets

Vladimir Poutine avait-il vraiment besoin de cela, à deux semaines de l'élection présidentielle ? Début mars 2018, l'empoisonnement de l'ancien agent du renseignement militaire Sergueï Skripal et de sa fille Ioulia à Salisbury, dans le sud de l'Angleterre, provoque un émoi considérable et met, une fois de plus, Moscou au ban de la communauté internationale. Plus de 150 « diplomates » russes se retrouvent expulsés de quelque vingt pays occidentaux : du jamais vu depuis la guerre froide. Aux États-Unis comme en Europe, la tentative d'assassinat est ouvertement imputée aux « services » russes.
Mais que sont exactement ces fameux services secrets russes ? Quel est leur fonctionnement, quel est leur degré d'autonomie vis-à-vis de l'exécutif, quelles sont leurs méthodes ? Pour répondre à ces interrogations, il convient d'examiner leur filiation institutionnelle et mémorielle avec les organisations soviétiques qui les ont précédées, leur relation symbiotique avec le pouvoir... et, bien sûr, leurs actions concrètes, souvent létales pour leurs cibles.


Des institutions héritées


Par « services secrets russes », on entend principalement trois organisations, deux civiles et une militaire : le Service fédéral de sécurité (FSB) ; le Service des renseignements extérieurs (SVR) ; et la Direction principale de l'état-major des forces armées (GU). Dans leur ouvrage qui a fait date, Les Nouveaux Boyards, Andreï Soldatov et Irina Borogan ont défendu la thèse selon laquelle le FSB ne serait pas une simple réincarnation du KGB - qui devait rendre compte au Parti communiste -, mais une organisation qui bénéficie d'une indépendance sans précédent (1). C'est sans doute vrai mais il n'en demeure pas moins que, pour appréhender l'esprit du FSB - et, par extension, celui des services secrets russes dans leur globalité -, on ne peut faire abstraction de leur filiation, institutionnelle et mémorielle, avec le passé soviétique.


La filiation institutionnelle


En août 1991, un groupe de conservateurs tente le coup de force en Russie : parmi eux, le directeur du Comité de la sécurité de l'État (KGB), Vladimir Krioutchkov. Boris Eltsine, président de la République soviétique de Russie - future Fédération de Russie -, prend la tête de la résistance. À ses yeux, le « Comité » est non seulement une institution de sinistre mémoire, un symbole du régime totalitaire à abattre, mais aussi un frein aux réformes qu'il va bientôt entreprendre. Le 6 novembre 1991, le KGB est dissous ; de son démembrement vont émerger plusieurs organisations, dont les plus importantes seront le SVR et le FSB.
Le SVR voit le jour le 18 décembre 1991. Il reprend, pour l'essentiel, les fonctions de la Première direction principale (PGU) du KGB, à savoir l'espionnage à l'étranger. La création du FSB, qui se substituera à la Deuxième direction principale (VGU) du KGB, en charge du contre-espionnage, sera moins immédiate : en 1992 voit le jour le ministère de la Sécurité (MB) qui laisse la place, l'année suivante, au Service fédéral de contre-espionnage (FSK) et, enfin, le 10 avril 1995, au FSB.
Ces réorganisations s'expliquent d'abord par le contexte trouble des premières …