Forte de sa science, de son industrialisation et de ses armées modernes, l'Europe était le continent le plus développé à la fin du XIXe siècle ; elle comptait alors - sans la Russie - quelque 275 millions d'habitants. L'Afrique, six fois et demie plus vaste mais peuplée seulement d'environ 150 millions d'habitants, était la partie du monde la plus démunie. L'intérieur du continent, longtemps difficile d'accès du fait de l'immensité du Sahara, de la force des alizés et du paludisme, était à peine cartographié. C'était une époque où « régner sur la Terre » s'entendait au sens littéral ; une époque où la foi chrétienne et le culte du progrès hérité des Lumières étaient ardemment prosélytes ; une époque où tous les autres territoires étaient déjà conquis ou bien, à l'instar du Japon, ouverts de force au libre-échange. Dans un tel contexte, il eût fallu un concours de circonstances exceptionnel pour que l'Afrique échappât à la mainmise européenne.
Il serait tout aussi étonnant que, au milieu du XXIe siècle, quand l'Afrique comptera 2,4 milliards d'habitants majoritairement jeunes et toujours démunis par rapport aux 450 millions d'Européens, proches de la cinquantaine pour la plupart d'entre eux, il n'y ait pas une « ruée vers l'Europe » depuis l'Afrique. L'Europe va s'africaniser. La question est seulement de savoir dans quelles proportions.
La conférence de Berlin et ses conséquences
La « ruée vers l'Afrique », à la fin du XIXe siècle, est un fait historique. Encore faut-il s'entendre sur le sens de cette expression imagée. Car la conférence de Berlin (1884-1885), qui passe pour le temps fort du « partage colonial de l'Afrique », est un sommet de malentendus.
D'abord, comme l'intérieur du continent était encore largement terra incognita, les quatorze délégations réunies autour du chancelier Bismarck ne tracèrent des frontières « à la règle » que dans des cas exceptionnels : quelques lignes de partage en Afrique de l'Ouest, l'entente franco-britannique concernant leurs « droits » respectifs sur le bassin du lac Tchad et la vallée du Nil, la délimitation du Congo français et du Congo belge, ou encore la « carte rose » du Portugal qui tenta de faire entériner une continuité territoriale à travers l'Afrique australe entre ses deux principales possessions, l'Angola et le Mozambique. Mais, pour l'essentiel, seules des « sphères d'influence » (1) et des règles relatives à l'« occupation effective » à venir furent arrêtées à Berlin. Par exemple, pour véritablement fixer les frontières entre leurs colonies d'Afrique de l'Ouest, la France et le Royaume-Uni allaient encore devoir conclure 242 traités entre la fin de la conférence de Berlin et la Première Guerre mondiale.
Ensuite, l'objet des négociations tenues à Berlin prête à confusion. En allemand, la rencontre est appelée Kongokonferenz, non sans raison puisque c'est la course au clocher entre la Belgique et la France dans le bassin du Congo qui l'avait provoquée. Cependant, arbitre sans grand souci d'impartialité, Bismarck reconnut les revendications de Léopold II sur ce qui allait devenir la colonie personnelle du roi, …
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