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Brexit : pour un nouveau référendum

Andrew Adonis est devenu, depuis quelques mois, l'une des figures de proue du mouvement anti-Brexit. Ce travailliste a longtemps été un proche du premier ministre Tony Blair. Après avoir oeuvré à ses côtés à Downing Street où il veillait à la mise en place de la politique de son gouvernement entre 1997 et 2003 (1), il a ensuite été ministre de l'Éducation entre 2005 et 2008 avant d'hériter du portefeuille des Transports dans le cabinet de Gordon Brown. En 2015, il est nommé président de la Commission nationale sur l'infrastructure (chargée de réfléchir à l'organisation des réseaux de transport) par le gouvernement conservateur de David Cameron. Il démissionnera de ce poste en décembre 2017, marquant ainsi son désaccord avec la politique du premier ministre.

Historien de formation, il est l'auteur d'une thèse sur l'aristocratie britannique à la fin du XIXe siècle. Lui-même, s'il porte le titre de baron de Camden Town, ne siège à la Chambre des lords (2) que parce qu'il y a été nommé par Tony Blair en 2005. Depuis le référendum du 23 juin 2016, il n'a eu de cesse d'en contester le résultat. En février 2018, il a lancé un mouvement qui milite pour l'organisation d'une nouvelle consultation sur les conditions de sortie de l'Union européenne, estimant que « les futures générations ne nous pardonneront pas le Brexit ». Il revient pour Politique Internationale sur les raisons qui ont mené à ce vote à ses yeux calamiteux et trace des perspectives pour les prochains mois.

S. D.-S.

Sonia Delesalle-Stolper - Revenons un peu en arrière. Quel est l'élément clé qui, selon vous, a fait pencher l'électorat britannique en faveur du Brexit ?

Andrew Adonis - Il y en a eu plusieurs. Le premier est évidemment l'erreur de jugement catastrophique de David Cameron. Il a appelé à un référendum en pensant qu'il allait le gagner, alors même que la majorité de son parti était favorable à la sortie de l'Union européenne. Personne ne l'avait forcé à prendre cette décision. Il savait très bien que la droite du parti conservateur était sur une ligne différente. Tous les dirigeants qui l'ont précédé en étaient conscients, à commencer par John Major qui s'est toujours refusé à organiser un référendum, que ce soit sur le traité de Maastricht au milieu des années 1990 ou sur le maintien du Royaume-Uni dans l'UE.

À sa décharge, il est vrai qu'en dépit de ce fort sentiment anti-européen seuls 15 % de l'électorat avaient véritablement une opinion tranchée sur la question. Le problème, c'est que David Cameron, en décidant de soumettre la question au vote populaire, a placé le sentiment anti-européen au coeur du débat politique. Il a obligé les gens à se positionner alors qu'avant cela ils n'en avaient pas particulièrement envie. Du coup, l'appartenance à l'Union européenne est devenue le déversoir de toutes les frustrations.

S. D.-S. - Selon vous, la question de l'appartenance à l'Union européenne a cristallisé les mécontentements de toutes sortes...

A. A. - J'en suis certain. C'est d'ailleurs l'interprétation qu'en a livrée le président Emmanuel Macron lorsqu'il est venu en Angleterre en janvier dernier pour le sommet franco-britannique. Il a dit que, si un référendum était organisé en France, la majorité des Français voteraient contre le maintien dans l'UE. Pour la même raison que les Britanniques : ils y verraient l'occasion d'exprimer leur désir de changement et de réformes dans l'espoir d'une vie meilleure. C'est exactement ce qui s'est passé au Royaume-Uni : un grand nombre de personnes dont les conditions d'existence s'étaient détériorées au cours des dix dernières années, en particulier dans les régions les plus éloignées de Londres et du sud-est de l'Angleterre, ont voté pour le « Leave ». L'erreur de David Cameron a été de laisser un référendum sur l'Europe se transformer, de fait, en référendum sur le niveau de vie.

L'autre problème crucial a été l'immigration. Cette question hautement toxique s'est invitée dans les débats et a fini par prendre une très grande place. L'élargissement de l'UE aux pays d'Europe de l'Est - et notamment à la Pologne - en 2004 a créé un appel d'air et provoqué une gigantesque vague d'immigration (3) que les hommes politiques britanniques n'ont pas vu venir ou pas su expliquer à leurs électeurs.

S. D.-S. - Le Royaume-Uni est l'un des rares pays de l'Union européenne à n'avoir pas imposé une période de transition pour l'ouverture des frontières à l'Europe de l'Est. À l'époque, c'est Tony Blair qui était à la tête du gouvernement - un gouvernement dont vous …