Les Grands de ce monde s'expriment dans

Cambodge : des élections en trompe-l'oeil

Des élections se tiendront le 29 juillet 2018 au Cambodge pour renouveler l'Assemblée nationale. Un scrutin sur mesure pour la formation au pouvoir, le Parti du peuple cambodgien (PPC) de l'inamovible - et très autoritaire - premier ministre Hun Sen, aux manettes du pays depuis 1985. Le principal parti de l'opposition, le PSNC (Parti du sauvetage national du Cambodge), a en effet été dissous par la Cour suprême en novembre 2017, et son chef, Kem Sokha, emprisonné - en dépit de son immunité parlementaire - pour une prétendue trahison, accusé d'avoir « conspiré avec les États-Unis en vue de renverser le gouvernement ». Les députés du PSNC ont été révoqués ; les plus hauts responsables sont bannis de la politique pour au moins cinq ans. Après cette dissolution, les États-Unis et l'Union européenne ont supprimé leur contribution au financement du Comité national des élections. Sam Rainsy, ancien dirigeant du PSNC, vit en exil depuis 2015 en France, d'où il dénonce avec véhémence le pouvoir autocratique du gouvernement Hun Sen - un pouvoir qui, comme il l'explique ici à Politique Internationale, pourrait bien se révéler plus fragile qu'on ne le croit...

S. B. R.

Sophie Boisseau du Rocher - En l'absence d'opposition organisée, quelle importance faut-il accorder aux législatives qui auront lieu au Cambodge fin juillet ?

Sam Rainsy - C'est la question fondamentale. Malheureusement, rares sont ceux qui ont vraiment saisi la nature de cette mascarade électorale. En réalité, ce que le régime est en train d'organiser, ce ne sont pas des législatives mais un plébiscite pour Hun Sen. Un plébiscite organisé d'une façon telle que le résultat est connu d'avance : ce sera bien évidemment un oui « franc et massif » en faveur du premier ministre en exercice !

Lors du dernier scrutin, en juillet 2013, l'opposition avait obtenu un résultat très proche de celui du parti au pouvoir - et cela, en dépit des innombrables entraves administratives et judiciaires qu'elle avait dû affronter. Mais, depuis, cette opposition a été dissoute et ses principaux représentants, mis hors d'état de nuire. Dès lors, on ne peut pas sérieusement considérer que le pays s'apprête à vivre une élection digne de ce nom. Aucun véritable choix n'est proposé aux citoyens. Ce qui tient lieu de campagne ne permet absolument pas de débattre normalement car le climat est anxiogène. Il s'agit seulement, je le répète, de valider une fois de plus le pouvoir de Hun Sen. Quand les gens se rendront aux urnes, ils ne pourront pas apporter leurs suffrages à l'opposition (même si quelques petits partis minoritaires et insignifiants donnent une illusion de choix). Il ne reste que le Parti du peuple cambodgien (PPC) et son chef Hun Sen, en place depuis trente-trois ans. Dans ce contexte, on comprend mieux pourquoi le premier ministre et le Comité national des élections poussent fortement les citoyens à aller voter et menacent de punir ceux qui appellent au boycott : parce que aller voter revient à voter pour le CPP. En effet, mon mouvement appelle au boycott. Voter est un droit, certes ; mais boycotter un scrutin biaisé est aussi un droit ! Ce sera notre moyen d'expression politique : le chiffre le plus intéressant à observer ne sera donc pas le résultat obtenu par le régime en place mais le taux d'abstention. Personne n'a encore bien mesuré l'enjeu. Si, en dépit des pressions exercées sur les électeurs, ceux-ci s'abstiennent en masse, le premier ministre sera fragilisé et il ne pourra se prévaloir d'une légitimité populaire découlant d'une véritable élection.

S. B. R. - Dans ce climat de menaces et de peur que vous avez évoqué, est-il réaliste de croire qu'une partie significative de la population puisse refuser d'aller voter ?

S. R. - Le climat politique est délétère : nous avons affaire à un régime policier hérité des Khmers rouges. Les structures, les systèmes et les mentalités n'ont pas beaucoup évolué ces quarante dernières années : on est épié, quadrillé, terrorisé comme pendant les pires années des Khmers rouges ! Les villages et les localités rurales (je rappelle que 70 % des Cambodgiens vivent à la campagne) sont divisés en groupes de quelques maisons à une …