Les Grands de ce monde s'expriment dans

La France et l'Orient compliqué

Isabelle Lasserre - Monsieur le Ministre, quels enseignements faut-il tirer des frappes contre la Syrie effectuées conjointement par les États-Unis, le Royaume-Uni et la France le 14 avril 2018 ?

Jean-Yves Le Drian - Quand le président de la République prend des engagements, il s'y tient. Quand il fixe des lignes rouges, il les fait respecter. C'est une question de crédibilité et de sécurité. De crédibilité, parce qu'il a tenu parole dans les conditions qu'il avait lui-même fixées, après que la ligne rouge sur l'utilisation des armes chimiques fut franchie ; et cela, en dépit des engagements pris par Damas et des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité à ce sujet. De sécurité, parce que la récurrence des attaques chimiques affaiblit le régime international de non-prolifération. Le pouvoir syrien s'est affranchi des règles universelles prohibant l'usage de telles armes depuis des dizaines d'années. Il était nécessaire de restaurer la dissuasion et la crédibilité de la communauté internationale dans ce domaine. Nous l'avons fait.

I. L. - Le conflit syrien dure depuis maintenant sept ans. Le fait qu'il ne soit toujours pas réglé ne signifie-t-il pas que la Coalition internationale a commis des erreurs dans son appréhension de ce dossier ?

J.-Y. L. D. - Personne n'aurait pu imaginer en 2011 que nous en serions là aujourd'hui. La France a tôt pris la mesure de ce qui se jouait en Syrie et a prévenu que nous irions vers le pire si une solution politique n'était pas trouvée. Le régime d'Assad n'en a pas voulu et sans doute n'en avait-il ni la volonté ni les moyens. Il porte la responsabilité essentielle du massacre de sa population mais aussi des conséquences de son action, notamment la crise des réfugiés et la montée en puissance des groupes terroristes et leur expansion dans la région. La Coalition ne s'est pas trompée. Elle est intervenue de manière décisive pour combattre Daech et l'éradiquer. Elle est en passe de remporter ce combat. C'est un succès qui ne doit rien au régime d'Assad mais tout à la mobilisation des alliés et des forces arabo-kurdes (les Forces démocratiques syriennes, FDS). Avec le président Macron, nous disons qu'il est maintenant nécessaire de relancer un processus politique crédible, de renforcer le consensus international sur ce dossier, de faire pression sur le régime pour qu'il accepte de négocier. C'est le seul moyen d'assurer un retour durable à la paix en Syrie, d'éviter l'escalade dans la région et de prévenir la résurgence du terrorisme au Levant. Nous prenons donc toutes les initiatives pour rapprocher ceux qui ont une influence en Syrie et pour nous entendre sur les conditions d'une solution politique. C'est le sens du mécanisme de coordination que le président de la République et le président Poutine ont décidé de mettre en place. C'est important car, comme vous le savez, le régime d'Assad n'aurait pas survécu sans l'appui massif de son allié russe. Or les Russes voient bien aujourd'hui qu'il faut négocier pour sortir de la crise.

I. L. - Vous …