Le nouveau visage de la Colombie

n° 162 - Hiver 2019

Élu en juin dernier à l'âge de 41 ans, Ivan Duque est le plus jeune président de toute l'histoire de la Colombie. Fils d'un ancien ministre de l'Énergie, il s'est passionné pour la politique dès son plus jeune âge : l'un de ses amis d'enfance a récemment raconté qu'il avait pour coutume de se lever chaque jour à cinq heures du matin pour dévorer les pages politiques du journal local ! Par surcroît, il n'aimait rien tant qu'apprendre par coeur les grands discours des dirigeants colombiens du passé et débattre aussi souvent que possible avec les responsables politiques venus rendre visite à son père.

Diplômé en affaires publiques de la prestigieuse Georgetown University, il entame en 1999 une carrière de consultant avant de devenir conseiller au ministère colombien des Finances. Son ascension est rapide : en 2014, il est élu sénateur en tant que représentant du Centre démocratique, le parti de l'ancien président de droite Alvaro Uribe (au pouvoir de 2002 à 2010). En décembre 2017, c'est tout naturellement qu'il est désigné pour porter les couleurs de cette formation à la présidentielle de l'année suivante, qu'il remporte assez aisément : il arrive en tête au premier tour avec 39 % des suffrages avant de battre au second le candidat de gauche Gustavo Petro par 54 % des voix contre 42 % (le système électoral colombien comptabilise également les bulletins blancs ou nuls).

L'une de ses principales promesses de campagne était d'apporter des changements substantiels à l'accord de paix passé en 2016 par le président d'alors, Juan Manuel Santos, avec la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) - un texte qu'il estime trop laxiste envers les anciens guérilleros. Aux yeux d'un certain nombre d'observateurs, un tel engagement était susceptible de remettre en cause l'ensemble du processus de paix qui venait de mettre fin à plus de cinquante ans de conflit opposant l'État colombien au groupe rebelle. Dans cet entretien exclusif, le nouvel homme fort de Bogota s'explique sur ce point central de son programme.

Libéral convaincu en matière économique, Ivan Duque - dont l'élection a été saluée par le monde des affaires - espère rester dans l'Histoire comme le président qui aura débarrassé le pays de la corruption. Il aspire également à réduire significativement les inégalités ; à permettre à une majorité de ses compatriotes pauvres d'accéder à la classe moyenne ; et à simplifier le système fiscal. Last but not least : partisan convaincu de la plus grande fermeté vis-à-vis du trafic de drogue, le nouveau chef de l'État est déterminé à éradiquer la production de coca. Il a quatre ans pour mener toutes ces tâches à bien.

Politique Internationale - Monsieur le Président, quelle a été votre première pensée en apprenant que vous aviez remporté l'élection ?

Ivan Duque - Je me suis juré de donner le meilleur de moi-même pour servir le peuple colombien.

P. I. - L'état dans lequel vous avez trouvé le pays vous a-t-il surpris, en bien ou en mal ?

I. D. - Je ne m'attendais pas à devoir gérer autant de situations de crise en même temps. Par exemple, plus de trois cents leaders sociaux avaient été tués au cours des dix-huit mois précédant mon entrée en fonctions (1). Par ailleurs, nous manquions des ressources nécessaires pour aider toutes les personnes concernées par le processus de réinsertion (2). Les institutions étaient faibles. Il y avait un trou de 14 milliards de pesos dans le budget. Le gouvernement était intervenu dans le dossier Electricaribe - l'un des plus importants fournisseurs d'énergie sur la côte nord de la Colombie -, mais il n'y avat pas de stratégie de sortie de crise (3). De nombreuses concessions routières qui faisaient l'objet de litiges étaient paralysées. Le secteur de l'éducation publique était sous-financé. Et le programme alimentaire destiné aux enfants (4) était, lui aussi, insuffisamment financé. Vous le voyez : nous étions confrontés à de nombreuses crises simultanées. Quand je me suis rendu compte de l'ampleur de la tâche, je me suis dit : « Eh bien, il faut que nous utilisions nos cent premiers jours pour remettre les choses en ordre ! » Nous nous sommes donc mis à traiter chacune de ces crises en déployant nos meilleurs efforts. Et, dans le même temps, nous nous sommes efforcés de mettre en oeuvre notre vision pour le pays. Je pense pouvoir dire aujourd'hui que ces cent premiers jours ont révélé toute la détermination de notre administration.

P. I. - Y a-t-il eu, tout de même, de bonnes surprises ?

I. D. - Oui ! J'ai été très agréablement surpris par l'optimisme des forces armées. Chaque fois - ou presque - que je me suis rendu en province, j'ai choisi de passer la nuit auprès des militaires, dans leurs bataillons. J'ai aimé discuter avec les soldats, apprendre à les connaître, découvrir l'histoire de chacun d'entre eux... Plus généralement, j'ai beaucoup apprécié mes déplacements en région. Chaque samedi, nous organisons des réunions publiques d'une durée de sept à huit heures, où chaque citoyen peut s'exprimer. C'est très instructif.

P. I. - Quels sont les leaders politiques actuels dont vous vous sentez le plus proche ?

I. D. - En Amérique latine, j'ai des affinités avec plusieurs de mes homologues : le Chilien Sebastian Piñera, l'Argentin Mauricio Macri, le Paraguayen Mauricio Abdo... J'apprécie également le président du Costa Rica Carlos Alvarado. Certains appartiennent à la même génération que moi, d'autres sont un peu plus âgés, mais je m'entends très bien avec les uns et avec les autres. Pour ce qui est des autres continents, j'ai de nombreux points d'accord avec le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, le …