Il est considéré comme le visage modéré du régime ultra-conservateur polonais, celui qui peut agrandir le réservoir électoral du parti au pouvoir Droit et Justice (PiS) en séduisant les centristes tout en améliorant la réputation ternie de la Pologne auprès des institutions européennes. « Il pense différemment des autres », affirment ceux qui fréquentent le premier ministre Mateusz Morawiecki. Jusqu'en 2015 personne ne connaissait d'ambitions politiques à ce spécialiste de la finance qui a dirigé et modernisé pendant neuf ans la Bank Zachodni WBK, devenue le deuxième établissement bancaire du pays.
Très respecté dans les milieux économiques, ce capitaliste convaincu n'a jamais appartenu à la droite dure, bien qu'il soit de sensibilité conservatrice et catholique pratiquant. Si Jaroslaw Kaczynski, le chef du PiS, celui qui dirige la Pologne dans l'ombre et distribue les postes politiques, l'a choisi comme conseiller avant l'élection présidentielle de 2015, c'est avant tout pour ses compétences économiques et financières. Des compétences qui lui ont permis d'accéder au poste de ministre des Finances en 2016, avant d'être nommé chef du gouvernement, à 49 ans, en décembre 2017. Il est vrai que, entre-temps, il avait rejoint le parti de Kaczynski, en mars 2016...
Fils d'un militant anticommuniste ayant passé plusieurs années en prison, Mateusz Morawiecki a été élevé dans un esprit de résistance et de combat. Il a lui-même été arrêté à plusieurs reprises par le régime communiste quand il était adolescent, à la fin des années 1980. De cette expérience, il a conservé un fort attachement à la liberté et aux valeurs que véhicule l'Europe. Ce qui ne l'empêche pas de récuser les leçons de morale que lui adressent les autorités de Bruxelles et nombre de ses pairs au sein de l'Union européenne...
I. L.
Isabelle Lasserre - Monsieur le Premier ministre, comment expliquez-vous la faiblesse de la réaction des Européens face aux récents affrontements russo-ukrainiens (1) ?
Mateusz Morawiecki - Je crois qu'une partie de l'UE est fatiguée de ce conflit. C'est précisément ce que souhaite Vladimir Poutine : il veut que les pays européens se lassent du dossier russo-ukrainien et s'en détournent. Son objectif est d'obtenir la levée des sanctions occidentales visant la Russie tout en maintenant le statu quo en Crimée et dans le Donbass. En mer d'Azov, la Russie teste la patience de l'UE. Mais la mollesse des réactions européennes s'explique aussi par le lancement de la construction du gazoduc russe Nord Stream 2 qui doit rallier l'Allemagne en transitant par la mer Baltique. Berlin défend ce projet (2). La Pologne, elle, s'y est toujours opposée. Étant proches des Ukrainiens géographiquement, nous comprenons bien leur situation et nous voudrions qu'ils soient aussi indépendants que possible vis-à-vis de la Russie. Ce n'est pas facile d'avoir un tel voisin !
I. L. - Pourquoi, selon vous, la partie occidentale de l'Europe est-elle beaucoup moins sensible à la menace russe que la partie orientale du continent ?
M. M. - Pour répondre à votre question, je dois d'abord effectuer un bref rappel historique. Nous avons retrouvé l'indépendance à la fin de la Première Guerre mondiale, mais nous n'avons pas pu en profiter longtemps : les Allemands nous ont attaqués en 1939, puis les Soviétiques nous ont envahis et nous avons vécu sous le joug de l'Armée rouge pendant cinquante ans. Du fait de cette histoire tragique, nous sommes extrêmement attachés à notre indépendance. Nous savons, d'expérience, à quel point la Russie peut nous nuire... Au-delà du seul cas de la Pologne, cette différence de perception dont vous parlez s'explique dans une large mesure par le fait que les pays de l'Est ont le sentiment de vivre dans l'ombre de Moscou, qui ne s'est jamais vraiment départie de son comportement agressif.
L'Europe occidentale, elle, a toujours été protégée de la Russie par l'Europe centrale ; elle comprend donc les choses différemment. Elle a pourtant failli, elle aussi, être envahie par la Russie en 1920, quand Lénine a donné à l'armée russe l'ordre d'aller jusqu'à Berlin et même jusqu'à Paris. Les Russes ont été stoppés à Varsovie. Nous avons alors été aidés par une mission spéciale française à laquelle participait un certain capitaine Charles de Gaulle (3) ! C'est un moment de l'histoire important pour la Pologne qui a défendu l'Europe contre l'Armée rouge.
L'Allemagne et la France, qui n'ont pas la même histoire, ne considèrent aujourd'hui la Russie que comme un partenaire économique et commercial. C'est oublier que les Russes font de la politique même quand ils font du business ! Pour eux, les relations économiques sont avant tout un outil au service de leurs objectifs géopolitiques. Nous serions ravis, nous aussi, d'avoir une relation économique normalisée avec la Russie ! Mais, pour cela, il faut qu'elle renonce à ses ambitions impériales et qu'elle cesse …
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