Pour en finir avec le conflit israélo-palestinien

n° 162 - Hiver 2019

Amihai Ayalon, dit « Ami », est un homme de terrain, pas un idéaliste. Contre-amiral, ancien commandant de la flotte israélienne, décoré de la médaille de la Bravoure (la plus haute distinction militaire israélienne), il a pris la tête des services de sécurité intérieure, le Shabak (ou Shin Beth), en 1996. À l'époque, l'organisation, qui avait été incapable de prévenir l'assassinat du premier ministre en exercice Itzhak Rabin, traverse une grave crise.

Chargé de réformer cette agence du contre-espionnage israélien et de renforcer la protection des membres du gouvernement, Amihai Ayalon commence par structurer la coopération sécuritaire avec les Palestiniens. Pendant son mandat, et en plein processus de paix, il verra se succéder à la barre trois premiers ministres - Shimon Peres, qui l'a nommé à ce poste (1995-1996), Benyamin Netanyahou (1996-1999) et Ehoud Barak (2000) - dont aucun ne réussira à conclure un accord...

Ami Ayalon, qui a eu l'occasion d'observer de près les erreurs des dirigeants israéliens et palestiniens, impute aux deux parties la responsabilité de l'échec des négociations. De retour à la vie civile, il lance avec Sari Nusseibeh, philosophe palestinien, une pétition qui récolte plus de 400 000 signatures en faveur de la solution « deux États pour deux peuples », sans retour des réfugiés. Élu député travailliste en 2006, puis nommé ministre sans portefeuille et membre du cabinet de sécurité nationale dans le dernier gouvernement d'Ehoud Barak, cet infatigable défenseur de la paix est convaincu que le conflit ne se résoudra pas sur les champs de bataille mais par le dialogue entre les peuples.

M. D.

Myriam Danan - Vous avez pris vos fonctions à la tête du Shabak en pleine situation de crise...

Amihai Ayalon - J'ai pris la tête des services de sécurité intérieure à la demande de Shimon Peres après le meurtre de Rabin. Je dirais même à cause de ce meurtre. Un an plus tôt, Rabin lui-même m'avait proposé le poste. J'étais depuis trois ans commandant de la marine israélienne et je n'étais absolument pas intéressé. Pour moi, le Shabak, c'était le monde des méchants...

M. D. - Pourquoi en aviez-vous une image aussi négative ?

A. A. - Vous savez, quand on sert dans les rangs de l'armée, on a une vision très binaire du monde. Nous sommes les gentils et nous combattons les méchants. Le Shabak, qui est en charge de la sécurité intérieure, a par nature une approche plus nuancée. L'assassin du premier ministre était un juif israélien qui, comme moi, avait étudié à l'université Bar Ilan. Nous nous étions sans doute croisés là-bas lorsque j'étais en second cycle de droit et lui en premier. Soudain l'ennemi n'avait plus le même visage et un nouvel Israël prenait forme sous nos yeux. Du coup, j'ai changé d'avis. J'ai quitté la marine en janvier 1996, deux semaines après que Carmi Gillon, le chef du Shabak en exercice, eut remis sa démission. Et Shimon Peres m'a appelé dans la foulée.

M. D. - Vous récupérez alors une organisation complètement déstabilisée par l'assassinat de Rabin qu'elle n'a pas su empêcher. En même temps, une série d'attentats terroristes s'abat sur le pays...

A. A. - Je n'avais pas caché à Shimon Peres que je venais d'un autre monde et que je ne connaissais rien à celui du renseignement. C'était exactement ce qui l'intéressait dans mon CV ! Il m'a dit : « Parmi les Palestiniens, il y a des terroristes ; il y a le Hamas, le Djihad islamique, le FPLP... Mais l'Autorité palestinienne, elle, n'est plus notre ennemie et nous devons changer de logiciel. C'est pour cela que j'ai besoin de toi. »

M. D. - Votre mission était donc de débusquer les terroristes...

A. A. - Notre rôle était de les identifier et de les tenir en échec, d'où qu'ils viennent et quels qu'ils soient : juifs ou musulmans, fondamentalistes, anarchistes ou messianiques. Je ne m'intéressais pas à la perception qu'avait l'opinion publique israélienne des Palestiniens ou du processus de paix ; ça, c'était le job du gouvernement. Et si, pour lutter contre le Hamas, je devais collaborer avec les services de sécurité de l'Autorité palestinienne, eh bien, je le faisais. Chaque mois, je rencontrais Jibril Rajoub (chef des forces de sécurité palestiniennes en Cisjordanie), Mohamed Dahlan (chef des forces de sécurité préventive de la bande de Gaza) ou Amin al Hindi (chef des services de renseignement palestiniens) pour faire le point sur l'étendue de la menace terroriste et établir les modalités de coopération entre nos services. C'était un défi sans précédent pour les renseignements israéliens. N'oubliez pas que nous nous étions …