Les Grands de ce monde s'expriment dans

Quand la Chine fait un rêve...

Liu Mingfu, colonel de l'Armée populaire de libération (APL), est un ultra-nationaliste. Ses points de vue, selon le jugement porté par Henry Kissinger dans son livre de référence De la Chine (Fayard, 2011), risquent de conduire à une guerre entre la Chine et les États-Unis. L'ancien conseiller de Richard Nixon a, en effet, lu avec inquiétude Le Rêve chinois, le best-seller de ce « faucon » qui y prônait, dès 2010, une montée en puissance décomplexée de la République populaire. Son audacieux programme semble, quoi qu'il en soit, avoir séduit l'actuel président chinois Xi Jinping. Après son arrivée au pouvoir fin 2012, ce dernier a repris à son compte le titre du livre de Liu Mingfu pour en faire l'idéologie officielle du pays : « Zhongguomeng » (« Le rêve chinois », donc). Liu, qui enseigne à l'Université de Défense nationale à Pékin, s'est depuis un an érigé en porte-parole officieux du pouvoir. Il a publié en 2017, avec l'aval des plus hautes autorités, La Pensée de Xi Jinping. S'il est peu courant qu'un militaire chinois s'exprime publiquement, il est encore plus rare qu'un officier de l'APL se confie aussi longuement. Une « anomalie » qui donne à réfléchir...

R. F.

 

Romain Franklin - Votre ouvrage Le Rêve chinois est pratiquement devenu la doctrine officielle de la République populaire. Il est enseigné dans toutes les académies militaires de votre pays et a même inspiré le président Xi Jinping. Pourriez-vous nous présenter brièvement la genèse de ce livre ?

Liu Mingfu - J'ai commencé à écrire Le Rêve chinois en 2006 et j'ai mis le point final trois ans plus tard. Le livre a été publié en janvier 2010 à Pékin. Une traduction anglaise a été publiée en 2015 aux États-Unis et en 2016 au Royaume-Uni. Il a ensuite été traduit dans d'autres langues, notamment en vietnamien.

R. F. - Quelles en sont les thèses principales ?

L. M. - Le Rêve chinois raconte, comme son nom l'indique, le rêve que fait le peuple chinois : dépasser les États-Unis et devenir la première puissance mondiale. Autrement dit, un avenir où la Chine sera le numéro un mondial alors que les États-Unis seront le numéro deux.

R. F. - Comment réaliser ce rêve ?

L. M. - Dans mon ouvrage, j'avais décrit quatre étapes : se battre pour devenir le numéro un mondial ; le devenir effectivement ; inaugurer l'ère chinoise ; et, enfin, créer un monde sans hégémonie. Mais fin 2012, le président Xi Jinping a employé à son tour le concept de « rêve chinois ». Et je dois reconnaître que son interprétation du rêve chinois est meilleure que la mienne ! Je l'ai donc étudiée de façon approfondie. Aujourd'hui, le rêve chinois consiste avant tout à réaliser la renaissance de la nation chinoise et à faire de la Chine un pays exemplaire qui deviendra tout naturellement le « champion du monde ».

R. F. - Quand vous dites que la Chine doit devenir un pays « exemplaire », entendez-vous par là que les autres pays doivent s'inspirer d'elle ?

L. M. - Oui, les autres pays doivent apprendre de la Chine... mais la Chine a également besoin d'apprendre d'eux. D'une certaine manière, tous les pays sont les professeurs de la Chine ! Depuis 1840, la Chine est la meilleure élève du monde. Nous avons analysé la Révolution française ; la dynastie Qing a mené de grandes réformes en suivant l'exemple du Royaume-Uni ; nous avons étudié le marxisme de l'Occident, le léninisme et le stalinisme de l'Union soviétique ; nous avons également regardé de très près l'économie de marché des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France. C'est grâce à cette soif d'apprendre que, à terme, la Chine dépassera les États-Unis. Les États-Unis, eux, ne cherchent pas à s'inspirer des autres pays... et surtout pas de la Chine. Ma conviction, c'est que les États-Unis manquent d'une grande stratégie et de grands stratèges. J'ai écrit sur ce sujet, en 2017, un livre intitulé Le Crépuscule de l'hégémonie, qui a d'ailleurs été traduit en anglais (1). Le New York Times m'a interviewé à ce moment-là. Voici ce que j'ai dit au journaliste qui m'interrogeait : « Les gouverneurs, les sénateurs, les …