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La marche sur Tripoli

Exilé aux États-Unis dans les années 1990 après s'être opposé au régime de Kadhafi qu'il avait pourtant servi en tant qu'officier général, le maréchal Khalifa Bilqasim Haftar, 75 ans, retourne en Libye en 2011 pour soutenir le soulèvement populaire. Puis il participe à la bataille du golfe de Syrte et devient l'un des chefs militaires du Conseil national de transition (CNT). Très vite, il considère que la révolution libyenne a été préemptée par des milices incontrôlables qui n'ont aucun désir de se soumettre à un quelconque gouvernement. Afin de mettre un terme au désordre qu'elles font régner dans le pays, il crée en 2014 l'Armée nationale libyenne (ANL).

Bien que décrié par les médias, il ne tarde pas à se positionner comme une alternative militaire et politique au gouvernement de Tripoli - que reconnaît la communauté internationale mais dont il critique l'inaction, le manque de moyens et la compromission avec les islamistes.

Il réussit ainsi le tour de force de fédérer autour de lui une partie des tribus bédouines et d'anciens hauts gradés en désignant le responsable du chaos libyen : l'organisation islamiste des Frères musulmans, « matrice originelle d'Al-Qaïda et de Daech » soutenue par l'émirat du Qatar et la Turquie, dont l'objectif est d'instaurer un califat qui régnerait sur l'ensemble des pays arabes.

Stratège lucide, Haftar comprend que les djihadistes veulent mettre la main sur le pétrole libyen pour ensuite poursuivre leur avancée vers les pays du Maghreb et l'Égypte. Le 4 avril 2019, il appelle à marcher sur Tripoli. Une marche qui se transforme très vite en offensive militaire, laquelle a pour objectif principal de renverser Fayez al-Sarraj, le chef du « gouvernement d'union nationale ».

Le nouvel homme fort de la Libye est aujourd'hui soutenu par de nombreux États parmi lesquels les États-Unis, les Émirats arabes unis et l'Égypte. Si la France a longtemps misé sur le gouvernement de Tripoli, elle semble à présent réaliser que le maréchal Haftar a de bonnes chances de prendre le contrôle d'un pays dans lequel elle possède de nombreux intérêts : lutte contre le terrorisme, trafic des migrants, chantiers de reconstruction...

Pour Politique Internationale et globalgeonews.com, nous avons été reçus par le maréchal, à Paris, en marge de sa rencontre avec le président Emmanuel Macron.

E. R.

Emmanuel Razavi - Huit ans après son déclenchement, quel regard portez-vous sur la révolution libyenne ?

Khalifa Haftar - La révolution de février 2011 était prévisible. La population libyenne était, en effet, épuisée par les dérives et la brutalité du régime de Mouammar Kadhafi. Au début, comme vous le savez, il s'agissait d'un soulèvement populaire. Mais le mouvement a malheureusement été « kidnappé » par la mouvance islamiste et les milices armées qui ont déchaîné la violence - une violence et des exactions qui, j'insiste sur ce point, étaient programmées. Celles-ci ont fait des milliers de victimes au sein de la société civile, parmi lesquelles des avocats, des journalistes, des juges, mais aussi des policiers et des militaires. L'objectif de ces milices était, en fait, de déstabiliser le pays et de mettre la main sur ses ressources naturelles et ses richesses. Il était donc indispensable de lancer une contre-révolution afin de permettre aux Libyens de retrouver leur dignité et de construire une démocratie.

E. R. - Avec le recul, avez-vous des regrets ? Qu'auriez-vous dû faire que vous n'avez pas fait à l'époque ?

K. H. - Des erreurs ont été commises. Je suis aujourd'hui convaincu que nous aurions dû organiser un coup d'État contre ces terroristes et leurs alliés islamistes ; et cela, dès le début de la révolution en 2011. Notre aspiration première était de mettre en place un régime démocratique. Nous pensions qu'une démocratie fournirait à la Libye les outils nécessaires pour se développer économiquement et pour se doter enfin d'une justice digne de ce nom. L'objectif était de bâtir un régime stable et un pays fort. Il faut bien reconnaître que nous n'y sommes pas parvenus. La révolution a fini par dévier totalement de sa trajectoire. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé de reprendre la situation en main et de déclencher, en mai 2014, l'opération Karama (1) avec l'armée nationale libyenne.

E. R. - Pourquoi l'émirat du Qatar a-t-il pris position contre vous ?

K. H. - Honnêtement, je n'en sais rien. La seule chose que j'ai comprise, c'est que les Qataris veulent leur part du gâteau ! Ils cherchent à étendre leur mainmise sur la Libye afin de s'emparer de ses richesses, ce qui n'est évidemment pas acceptable. D'autant qu'ils soutiennent des organisations terroristes, à commencer par celle des Frères musulmans qui a fait venir un grand nombre de combattants dans notre pays. Leur stratégie consiste, à l'instar du Qatar, à nous dépouiller, pour ensuite porter leur lutte vers l'Égypte, les pays du Maghreb, la Mauritanie et les pays du Golfe. Comme Daech, ils veulent créer un empire et établir leur califat dans toute la région. En réalité, ces mouvements sont liés, car il ne faut jamais oublier que les Frères musulmans sont les pères spirituels du terrorisme. Tout le monde sait que c'est leur organisation qui a attiré les démons djihadistes vers l'Irak, la Syrie et la Libye. Parmi eux, on trouve beaucoup de Libyens qui vivaient depuis des années à Londres …