Deux mois avant les élections européennes du 26 mai dernier, le ministre français de l'Économie et des Finances, Bruno Le Maire, a voulu prendre à bras-le-corps la thématique de plus en plus prégnante - et embarrassante pour les gouvernements européens - de l'extraterritorialité du droit américain. Voici ce qu'il proclamait dans une grande interview au Figaro, en date du 28 mars 2019 : « Nous refusons toutes les mesures d'extraterritorialité, de nos partenaires américains comme d'autres. Nous nous donnons systématiquement les moyens d'y répondre sans délai. En quelques mois à peine, avec l'Allemagne et le Royaume-Uni, nous avons créé un instrument pour financer de manière indépendante des opérations commerciales avec l'Iran. Nous souhaitons également contrer le "Cloud Act" : il n'est pas acceptable qu'une administration américaine puisse récupérer auprès des opérateurs de stockage les données de n'importe quelle entreprise française ou européenne, au nom des intérêts supérieurs américains, sans même que l'entreprise concernée soit alertée. Je ferai rapidement des propositions au Premier ministre et au président de la République, sur la base du rapport du député Raphaël Gauvin. Je souhaite, notamment, le renforcement de la loi de blocage de 1968 et la conclusion d'un accord global entre l'Union européenne et les États-Unis. Que l'on parle de la Chine ou des États-Unis, nous vivons un moment de bascule historique : notre souveraineté politique dépend de notre souveraineté technologique. La France refuse de subir. Avec l'Europe, elle veut être leader. »
Voilà donc pour les déclarations d'intention : la France et l'Europe vont se battre ! Heureuse nouvelle.
L'ennui, c'est que de telles annonces - maintes fois répétées, en particulier depuis que Donald Trump a décidé en 2018 de dénoncer l'accord nucléaire iranien et d'interdire tout commerce (y compris européen) avec l'Iran - sont restées jusqu'ici sans effet. La réalité est celle d'un véritable rouleau compresseur normatif mis en place par les États-Unis pour réguler, seuls, depuis Washington, la quasi-totalité des échanges commerciaux et financiers à travers la planète et imposer seuls, là encore, des régimes de sanctions drastiques et universels, au gré des crises (Iran, Venezuela, Cuba, etc.). Le tout sans riposte crédible de la part de la France et des Européens.
L'utilisation désormais systématique de la loi américaine comme d'une arme dédiée au service des intérêts stratégiques, politiques et, bien sûr, économiques des États-Unis doit être comprise dans un contexte plus large que l'on peut résumer autour de deux grands mouvements de fond.
En premier lieu, la volonté de remplacer l'ordre libéral de l'après-Seconde Guerre mondiale par le retour au protectionnisme et à l'isolationnisme. Le monde d'hier - celui du GATT puis de l'OMC, des accords commerciaux multilatéraux -, fondé sur la dénonciation du protectionnisme, la réduction, voire la suppression des barrières tarifaires, et des obstacles non tarifaires a laissé place à la dénonciation systématique de l'OMC et des accords multilatéraux, et à l'imposition unilatérale des normes juridiques, financières ou comptables américaines. Le droit est désormais envisagé et employé comme l'un des éléments clés de cette stratégie destinée exclusivement à …
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