Le Dr Shaul Yanai est l'un des membres fondateurs du Forum de réflexion régionale, une ONG créée en 2014 qui réunit des universitaires israéliens, juifs et arabes, spécialisés dans divers domaines de recherche. Leurs travaux ont pour but de donner une vision plus large des bouleversements régionaux en cours et de jeter des ponts entre la société israélienne et les pays voisins. M. Yanai est convaincu qu'une connaissance plus profonde et moins caricaturale des peuples et des dirigeants qui entourent Israël est le meilleur moyen de créer une relation de confiance et de réveiller l'espoir de nouvelles coopérations régionales. Loin d'être une réalité intangible, le conflit judéo-arabe est, selon lui, un problème géopolitique qui trouvera un jour une solution.
M. D.
Myriam Danan - Le « deal » de Donald Trump pour le règlement du conflit israélo-palestinien est en marche, et les monarchies sunnites en sont parties prenantes. L'Arabie saoudite a-t-elle les moyens de convaincre les Palestiniens de négocier un accord de paix avec les Israéliens ?
Shaul Yanai - Les Palestiniens sont les seuls à pouvoir valider un accord. Et, à plusieurs reprises, ils ont déjà dit non à des propositions sans doute plus généreuses que celles qu'ils recevront à l'avenir. L'Arabie saoudite a les moyens d'exercer des pressions, mais elle n'est pas à leurs yeux une autorité divine. Et s'ils disent non, c'est parce qu'il existe de profondes dissensions entre eux, bien au-delà des divisions politiques Fatah/Hamas. Il y a un conflit identitaire. Ce n'est pas une société unie. Il y a les Palestiniens de Gaza ; ceux du nord, en Galilée ; ceux de Naplouse ; ceux d'Abu Gosh... Ils ne sont pas tous là depuis des siècles et ils n'ont pas tous les mêmes origines ni les mêmes aspirations politiques. Le processus d'unification de ces différents groupes est en cours, mais cela prend du temps.
Avant de commencer à se considérer comme un peuple, les Palestiniens ont longtemps revendiqué leur appartenance à la grande nation arabe. L'objectif était alors de lutter, avec le reste du monde arabe, contre l'implantation sioniste. Il ne s'agissait pas d'obtenir un État aux côtés des juifs, mais de prendre leur État aux juifs. Et c'est à ce titre que, dans le passé, ils ont fait appel à l'Oumma pour se battre contre les Israéliens. Ce n'est qu'au moment de la première Intifada qu'ils se sont résolus à revendiquer une solution pour eux-mêmes, notamment parce qu’après la guerre de 1967 le mythe d'une union arabe toute-puissante s'est effondré.
Dans un certain nombre de pays arabes - Algérie, Libye, Irak, Syrie... - et jusqu'en Somalie, l'islam s'est progressivement imposé comme vecteur d'unité. Ce qui n'a pas empêché les peuples de conserver une vision tribale de la politique, y compris les Palestiniens. D'ailleurs, en Arabie saoudite, au Koweït ou aux Émirats arabes unis, c'est sur le tribalisme que s'est édifiée la société. Ce sont les tribus qui ont nourri l'idée d'un État. C'est aussi le cas de la Libye. N'oubliez pas que Kadhafi était le chef du clan des El Kadhafia. Et aujourd'hui encore, ce sont les tribus qui mènent la danse. Les affrontements actuels entre Tripoli et Benghazi en sont l'illustration.
M. D. - Ce schéma vaut-il pour l'Arabie saoudite ?
S. Y. - La tribu actuellement au pouvoir a commencé à émerger en 1902. Ibn Saoud a organisé le pays autour de deux principes fondamentaux : une doctrine religieuse très radicale, le wahhabisme ; et le tribalisme. Ceux qui ont accepté de rejoindre cette alliance ont bénéficié d'une relation privilégiée avec les Saoud. Et ceux qui ont refusé ont été asservis ou décimés lors des hostilités qui ont suivi. En trente ans de conflits et de négociations, le royaume s'est consolidé.
Il faut …
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