Moshé Yaalon est ce que les Israéliens appellent un « faucon ». Chef d'état-major de Tsahal de 2002 à 2005, pendant la seconde Intifada, il fait face à une vague meurtrière d'attentats suicides. Il parvient à réduire significativement le nombre d'attaques palestiniennes, mais le Premier ministre Ariel Sharon décide tout de même de ne pas prolonger son mandat : M. Yaalon avait eu le tort de vivement critiquer le projet de désengagement unilatéral de Gaza cher au chef du gouvernement. Le militaire entre alors en politique. Élu député en tant que représentant du Likoud en 2009, il est nommé premier vice-premier ministre et ministre des Affaires stratégiques dans le deuxième gouvernement Netanyahou (2009-2013).
L'alliance entre les deux hommes semble solide et leur proximité évidente. Dès 2013, M. Yaalon devient ministre de la Défense dans le troisième gouvernement Netanyahou, avant d'être reconduit en 2015. Mais, en mai 2016, Benyamin Netanyahou élargit sa coalition gouvernementale et offre le poste de ministre de la Défense à Avigdor Liberman, proposant le portefeuille des Affaires étrangères à Yaalon. Celui-ci s'estime trahi. Par surcroît, il est déçu par la nomination à sa place d'un politicien certes retors, mais dénué d'expérience militaire. La décision de M. Netanyahou est d'ailleurs fortement critiquée en Israël et au sein du Likoud, tandis que Yaalon, lui, est loué à son départ par la droite autant que par la gauche. Il devient alors un adversaire acharné de « Bibi » et rejoint rapidement la coalition « Bleu et blanc » constituée par Benny Gantz et Gabi Ashkenazi, eux aussi anciens chefs d'état-major, et Yaïr Lapid. Cette coalition, dont l'objectif affiché est de mettre fin à l'ère Netanyahou, se positionne sur la plupart des dossiers comme un parti centriste. Son programme : renouvellement des discussions avec les Palestiniens (sans concessions territoriales à court terme) ; lutte contre la fracture sociale et la vie chère ; incorporation systématique des Juifs ultra-orthodoxes dans l'armée, etc. Lors des élections législatives d'avril 2019, le Likoud et « Bleu et blanc » obtiennent tous deux 35 sièges au Parlement. Après la défection de son allié Avigdor Liberman, chef du parti nationaliste Israel Beytenou, Netanyahou n'est plus en capacité de constituer une coalition de droite. Il convoque de nouvelles élections, qui se tiennent en septembre 2019. Cette fois, le Likoud obtient 31 sièges contre 33 pour « Bleu et blanc » - des résultats qui ne permettent toujours pas de dénouer l'imbroglio politique ni d'augurer de la formation rapide d'une coalition.
Malgré son départ du Likoud, M. Yaalon conserve l'image d'un homme de droite modéré et pragmatique, et demeure très populaire. À 69 ans, il aspire toujours à jouer un rôle majeur dans la vie politique de son pays - une aspiration confortée par les derniers résultats de « Bleu et blanc », dont il est le numéro 3.
M. D.
Myriam Danan - Aux yeux de la gauche israélienne, l'absence d'État palestinien représente, pour Israël, un risque démographique qui menace son existence même en tant qu'État juif car les Arabes israéliens vont devenir de plus en plus nombreux et finiront par être majoritaires. La droite israélienne estime a contrario que la création d'un État palestinien constituerait un risque sécuritaire insensé. Quelle est votre position ?
Moshé Yaalon - Je pense qu'aucun de ces arguments ne touche au coeur du problème. De façon générale, le débat sur le conflit israélo-palestinien est aujourd'hui conduit de façon erronée. Je vise spécifiquement l'approche que les Européens ont adoptée ces dernières années. Ils ont posé comme axiome de base que les deux parties se dirigent, de plus ou moins bon gré, vers des concessions territoriales qui permettront d'aboutir, d'un commun accord, à la mise en place de « deux États pour deux peuples », côte à côte. Mais cette vision fait totalement abstraction du fait que depuis l'aube du sionisme, pas un leader arabe n'a reconnu le caractère juif de l'État d'Israël et son droit légitime à exister en tant que foyer du peuple juif, que ce soit dans le cadre d'un accord de paix ou non.
C'est là que se trouve le véritable coeur du conflit. Contrairement à ce que l'on dit souvent, ce n'est pas un conflit qui a démarré en 1967 avec la conquête, ou l'occupation - quel que soit le nom qu'on donne à ces événements - de nouveaux territoires par Israël. Pour les Arabes, l'occupation a commencé en 1948, avec la déclaration de Ben Gourion ! Autrement dit, c'est leur refus catégorique de reconnaître l'État d'Israël comme foyer du peuple juif qui représente l'obstacle essentiel à tout processus de paix. Si cette reconnaissance avait eu lieu, voilà longtemps que nous serions parvenus à nous entendre. Les propositions n'ont pas manqué. Il y a eu le plan de partage de l'ONU en 1947, les accords d'Oslo en 1993, la proposition d'Ehoud Barak à Camp David en 2000, celle d'Ehoud Olmert à Annapolis en 2007, l'initiative de John Kerry en 2014...
M. D. - Dès lors, quelle devrait être l'attitude des dirigeants israéliens, selon vous ?
M. Y. - Aujourd'hui, Israël doit avant tout regarder où est son intérêt. Il faut laisser aux Palestiniens ce qu'ils ont déjà obtenu, à savoir une autonomie politique. Les accords d'Oslo leur ont donné les moyens de structurer une organisation qui leur permet de fonctionner comme un régime politique indépendant. Dans les faits, ils sont autonomes. Ils peuvent donner à leur régime la dénomination de leur choix - Autorité palestinienne ou, pourquoi pas, nouvel empire palestinien ! -, c'est le dernier de nos soucis. Ils ont un Parlement, un gouvernement, un président. Ce sont eux qui ont fait éclater leur gouvernement en deux entités, nous n'avons pas pris cette décision à leur place. L'une de ces entités - le Hamas à Gaza - nous est ouvertement hostile (1) ; la seconde est toujours gouvernée par Mahmoud …
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