La Turquie court depuis plus de quinze ans après le statut de puissance mondiale. La fusion du nationalisme turc, exalté depuis l'époque de Kemal Atatürk, et de la nostalgie ottomane remise au goût du jour par Recep Tayyip Erdogan produit un cocktail détonant plutôt efficace. La Turquie pense être chez elle dans le monde arabe, particulièrement au Proche-Orient, dans les dernières provinces de l'Empire perdues par les sultans à l'issue de la Première Guerre mondiale au profit des Britanniques et des Français.
Les révoltes démocratiques de 2011, qui l'ont brièvement promue au rang de modèle politique pour la région, n'ont fait qu'accroître son désir de s'imposer à nouveau. Mais les « printemps arabes » ont tourné court et bénéficié, dans l'arène régionale, à des puissances rivales bien décidées, pour sauver leur régime, à disputer l'influence aux Turcs. L'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis se sont ainsi institués chefs de file de la contre-révolution et de l'antiterrorisme, deux causes qu'ils considèrent comme pratiquement confondues. Dans ce contexte, l'appui offert par les Turcs aux mouvements issus de la matrice des Frères musulmans représente une cause de friction majeure - et cela, d'autant plus qu'Ankara partage cet engagement avec le Qatar, le vilain petit canard des monarchies conservatrices du Golfe qui encourage la montée de l'alternative islamiste un peu partout en Afrique du Nord, au Moyen-Orient et jusque dans la Corne de l'Afrique.
La brouille entre la coalition saoudo-émirienne et le Qatar s'est amplifiée ces deux dernières années. La Turquie, qui tentait depuis un siècle de maintenir des relations équidistantes avec l'ensemble des pays de la péninsule arabique, se retrouve dans le camp de Doha et est régulièrement visée par la vindicte de Riyad et d'Abu Dhabi, qui se sont entretemps rapprochés d'Israël - un autre ennemi d'Erdogan. Un conflit par procuration s'engage sur les théâtres militaires (Syrie, Libye) et sur le terrain de la communication, tous les moyens étant bons pour dénigrer l'autre partie. La mise en scène savante organisée par les autorités turques à l'automne 2018 autour du meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi à Istanbul a ainsi marqué une montée spectaculaire de l'antagonisme entre, d'une part, une monarchie saoudienne qui se pique de réformes et, d'autre part, une Turquie qui s'éloigne de plus en plus des us et coutumes démocratiques.
Malgré cet épisode, le soutien apporté par Donald Trump au prince Mohammed Ben Salmane ne s'est jamais démenti et l'affaire Khashoggi, pour dramatique qu'elle soit, n'a pas eu l'effet de rééquilibrage espéré par la Turquie. Elle illustre ainsi les limites de l'agitation turque dans la région : dépassée par la dynamique propre du sous-système golfien, marginalisée dans l'affrontement qui oppose l'Arabie saoudite, les EAU, Israël d'un côté, et l'Iran de l'autre, la Turquie craint de se retrouver à l'écart du grand jeu en cours au Moyen-Orient.
L'héritage du passé ottoman de la péninsule arabique
Depuis l'affaire Khashoggi, les relations turco-saoudiennes sont presque arrivées à un point de rupture ; les rapports d'Ankara avec les Émirats arabes unis sont également …
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