À 66 ans, Imran Khan n'a rien perdu de son aura. Une aura qui entoure ce fils de bonne famille de Lahore depuis qu'il a conquis le titre de champion du monde de cricket en 1992. Formé dans les meilleures universités britanniques, l'enfant terrible et élégant de la politique pakistanaise a accédé aux plus hautes responsabilités en août 2018 (1), promettant de « nettoyer » les écuries d'Augias du pays et de faire la paix avec New Delhi.
Et pourtant, lorsque nous le retrouvons à New York, en marge de l'Assemblée générale des Nations unies, cet athlète, toujours aussi svelte dans sa shalwar kameez traditionnelle, n'a pas de mots assez durs envers le régime de son homologue indien Narendra Modi. Il arpente les forums internationaux pour dénoncer la gravité de la répression en cours dans la province indienne à majorité musulmane du Cachemire (2) et appeler les Occidentaux à ne pas fermer les yeux sur les agissements de New Delhi. En vain jusqu'ici : la France d'Emmanuel Macron et les États-Unis de Donald Trump, pour ne citer qu'eux, enchaînent les contrats prometteurs avec l'Inde dans les domaines de l'aéronautique, de l'armement ou du nucléaire civil.
À New York, où il reçoit Politique Internationale dans la suite de son hôtel, ce diplômé d'Oxford, séducteur et cosmopolite, est comme chez lui. L'homme présente ses projets avec une éloquence qui lui a permis de remporter les élections de 2018 en ralliant les électeurs, spécialement les jeunes, à sa cause et à celle de son parti Tehreek-e-Insaf (Mouvement pour la Justice, qui promeut la création d'un État-providence, la défense des libertés individuelles et le refus de toute discrimination religieuse). Il souhaite par-dessus tout contribuer à l'instauration d'une paix durable dans la région. Entre autres initiatives, il propose aux États-Unis ses services de médiateur avec l'Iran et avance des solutions pour l'Afghanistan. Chantre de la tolérance, Imran Khan évoque souvent l'exemple de la cité de Médine où cohabitaient jadis en paix musulmans, juifs et chrétiens. Il plaide en faveur de solutions communes face au défi très concret du réchauffement climatique, constatant la misère grandissante de ses compatriotes et les problèmes d'approvisionnement en eau liés à la disparition accélérée des glaciers de l'Himalaya.
Le ton se fait plus lugubre au moment d'évoquer la crise du Cachemire indien. Avec l'ombrageux Narendra Modi, ce véhément nationaliste hindou qui l'a superbement ignoré (et réciproquement) lors de l'Assemblée générale des Nations unies en septembre 2019, le courant semble impossible à rétablir. Au point d'altérer sensiblement le discours optimiste du nouveau maître d'Islamabad : à l'entendre, c'est un « bain de sang » qui guette le Cachemire livré au joug militaire indien. Pis encore : une confrontation nucléaire entre l'Inde et le Pakistan ne saurait être exclue. Une confrontation que seule l'ONU est en mesure d'empêcher, affirme M. Khan...
M. P.
Maurin Picard - En cette fin d'année 2019, bon nombre d'observateurs estiment que le monde est toujours plus dangereux, les crises toujours plus nombreuses. Souscrivez-vous à cette vision du contexte géopolitique international ?
Imran Khan - L'histoire du monde est une succession de phases dangereuses et d'autres de paix relative. Nous nous trouvons malheureusement à un moment difficile. À un moment très délicat pour le Pakistan, en particulier. Il y a d'un côté de nos frontières l'Iran, qui connaît de gros soucis avec les Américains et les Saoudiens et, de l'autre côté, l'Afghanistan, qui incarne à la fois le meilleur et le pire de la période présente. Le meilleur, parce que les pourparlers de paix avec les talibans, facilités par le Pakistan, semblaient aller dans la bonne direction. Le pire, parce que ces pourparlers ont été interrompus (3). Si les combats reprennent, notre pays en sera profondément affecté.
M. P. - Et pourtant ni l'Iran ni l'Afghanistan ne semblent accaparer vos craintes à l'heure actuelle...
I. K. - Il est vrai que nous avons un autre problème qui est probablement le plus dangereux : l'Inde. Celle-ci a hélas aujourd'hui à sa tête un gouvernement profondément raciste. Le chef de ce gouvernement, Narendra Modi, est un pur produit du parti hindou RSS (4) qui tire une part de son inspiration du nazisme dans la mesure où il prône une épuration ethnique des musulmans en Inde. Ce parti, qui promeut ouvertement la pureté raciale du pays et la suprématie raciale des hindous, a été trois fois interdit en Inde en tant qu'organisation terroriste (en 1947, 1948 et 1975). C'est l'un de ses militants qui a assassiné le Mahatma Gandhi : aux yeux du RSS, Gandhi était trop tolérant envers les musulmans (5). Force est de constater que cette idéologie s'est désormais hissée au pouvoir à New Delhi (6)...
M. P. - À quel point la montée en puissance de cette idéologie est-elle dangereuse, selon vous ?
I. K. - C'est une très sombre période pour tous les musulmans de l'Inde, mais aussi pour les chrétiens, pour les sikhs et pour toutes les autres minorités du pays. Le RSS estime que l'Inde n'appartient qu'aux hindous et que les autres minorités ne devraient pas disposer des mêmes droits. Ces vues constituent une dénégation complète de l'idée séculaire qu'avaient défendue Gandhi et Nehru. Ce que les dirigeants indiens sont en train de faire est impensable à notre époque ! Le Cachemire indien, où vivent 8 millions d'habitants, est devenu une prison à ciel ouvert : les autorités y ont déployé pas moins de 900 000 soldats (7). C'est une façon pour eux de transformer la majorité musulmane cachemirie en minorité dans un ensemble pendjabi (8). Voilà ce qui me préoccupe le plus à l'heure où nous parlons.
M. P. - Quel regard portez-vous sur la crise qui oppose l'Iran aux États-Unis ?
I. K. - Ce qui affecte l'Iran nous affecte également. Ne serait-ce que parce que, du fait de cette crise, le prix du …
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