Tel un roi Midas soudain privé de sa touche magique, Recep Tayyip Erdogan a brusquement vu disparaître son aura politique. Doté des pleins pouvoirs depuis sa réélection en 2018, il paraissait pourtant marcher d'un pas assuré vers son « sultanat ». Mais ses positions ont vacillé en cette année 2019 quand son Parti de la justice et du développement (AKP) a perdu la mairie d'Istanbul. Un camouflet électoral qui a mis fin à vingt-cinq ans de domination des islamo-conservateurs sur la ville la plus riche et la plus peuplée du pays. L'échec est d'autant plus cuisant pour M. Erdogan qu'il en a été le principal artisan.
La double défaite d'Istanbul
Incapable de digérer la victoire d'Ekrem Imamoglu, le candidat du Parti républicain du peuple (CHP, opposition kémaliste), élu maire d'Istanbul d'une courte tête le 31 mars (1), le président fait annuler le scrutin, qu'il qualifie de « crime organisé » commis par l'équipe du vainqueur qui aurait gagné frauduleusement... sans savoir qu'il commet, ce faisant, une erreur majeure. Sensible à l'avis du prince, le Haut Conseil électoral (YSK), après maintes vérifications et recomptages, finit par invalider partiellement la consultation du 31 mars, reconnaissant des « irrégularités ». Mais seule l'élection du maire est purement et simplement annulée. Les autres personnalités élues ce jour-là - conseillers municipaux, maires d'arrondissement, maires de quartier - ne voient pas leur victoire remise en cause. Pour une raison simple : la plupart de ces élus étaient des candidats de l'AKP...
Sitôt l'annulation prononcée, le 6 mai, les autorités s'acharnent sur Ekrem Imamoglu et s'affairent à supprimer tout signe des quelques semaines qu'il a passées à son poste. À peine élu, ce « canard boiteux », selon l'expression du président Erdogan, s'était rendu au mausolée d'Atatürk à Ankara et avait signé le livre d'or par la formule « le maire d'Istanbul ». Dès sa destitution, la page où il avait apposé son paraphe est retirée et le commandant militaire du mausolée est muté (2).
Un administrateur désigné par le ministère de l'Intérieur prend possession des locaux de la municipalité, effaçant les traces de l'édile éphémère (affiches, papier à en-tête, publications sur les réseaux sociaux de la mairie...). Les caméras qu'Imamoglu avait installées dans la salle du conseil municipal, théâtre de débats houleux entre le maire issu de l'opposition et les conseillers municipaux favorables au parti présidentiel, sont débranchées. Un geste mal perçu par les 3,5 millions de Stambouliotes qui suivaient passionnément ces sessions mouvementées, relayées en direct via les réseaux sociaux.
La véhémence du pouvoir a ulcéré une bonne partie de l'électorat qui a pris fait et cause pour le maire évincé, perçu comme une « victime »... y compris par de nombreux adeptes de l'AKP. L'annulation du scrutin censée marginaliser Imamoglu n'a fait que le renforcer. En quelques semaines, cet entrepreneur de 49 ans, obscur maire de Beylikdüzü, un arrondissement périphérique d'Istanbul, est devenu la nouvelle coqueluche de la scène politique turque.
À première vue, son profil offre des similitudes avec celui d'Erdogan à ses …
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