Rien ne prédisposait Evguenia Tchirikova à devenir l'une des opposantes les plus célèbres de Russie. Née à Moscou en 1976, elle mène longtemps une existence paisible et complètement apolitique dans la petite ville de Khimki (un peu moins de 250 000 habitants), à côté de la capitale, où elle s'installe avec son mari en 1999 et où naîtront les deux filles du couple. Mais, en 2006, la jeune mère de famille, ingénieur en informatique, découvre par hasard, lors d'une promenade dans la grande forêt de Khimki, véritable poumon vert de la région, que celle-ci sera bientôt partiellement rasée pour faire place à une autoroute qui reliera la capitale russe à Saint-Pétersbourg.
La pétition locale qu'elle lance contre ce projet en 2007 rassemble des milliers de signatures. Sans vraiment l'avoir voulu, elle se retrouve à la tête d'un vaste mouvement de contestation (chose rare en Russie où les mouvements civiques d'ampleur ne sont pas chose courante). Militants écologistes et simples citoyens indignés d'apprendre la destruction de ce havre de paix multiplient meetings, lettres ouvertes et autres actions publiques. D'abord indifférentes, les autorités deviennent de plus en plus hostiles à l'organisation créée par Evguenia, le « Mouvement pour la protection de la forêt de Khimki ». Elle-même et ses partisans sont régulièrement menacés, pourchassés, voire physiquement agressés par des individus masqués. L'un de ses amis, Mikhaïl Beketov, le rédacteur en chef d'un journal local, qui a pris fait et cause pour son combat, est violemment passé à tabac en novembre 2008. Il survit mais, mutilé et très diminué, décède en 2013 à la suite de complications liées à cette agression qui n'a jamais été élucidée.
La pasionaria malgré elle est arrêtée à plusieurs reprises, sous des prétextes divers. Elle fait l'objet d'une campagne de presse qui la présente, entre autres, comme une « espionne travaillant pour le compte des services secrets américains ». Son mari et elle doivent subir des inspections de leur appartement par l'agence de protection de la jeunesse qui les menace de leur retirer la garde de leurs filles pour « maltraitance ».
Le harcèlement se fait plus pesant car, de militante écologiste, Evguenia devient, à partir de 2010, l'une des opposantes les plus farouches au régime de Vladimir Poutine, qu'elle accuse de soutenir et de contrôler un système de corruption généralisée. Elle intègre le Conseil de coordination de l'opposition russe (une entité de l'opposition hors système qui a existé de 2012 à 2013) aux côtés de personnalités comme Boris Nemtsov, Alexeï Navalny, Garry Kasparov, Ksenia Sobtchak... Son activisme ne passe pas inaperçu aux États-Unis : en 2011, lors d'une visite à Moscou, le vice-président américain Joe Biden lui remet en main propre un « Woman of Courage Award » et l'invite à poursuivre ses efforts. En 2012, elle reçoit le Goldman Environmental Prize, une récompense parfois surnommée le « Nobel de l'environnement » ou le « Nobel vert » qui célèbre les réalisations des activistes environnementaux à travers le monde. Cette même année 2012, elle se présente aux …
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