L'AFRIQUE, LA FRANCE, LA DÉMOCRATIE

n° 166 - Hiver 2020


 


Il y a vingt ans, Jean-Yves Ollivier avait consacré une grande partie de son interview à Politique Internationale (n° 84, été 1999) à l'art de la diplomatie parallèle, à sa science des cheminements et des intersections dans le labyrinthe des fraternités et des inimitiés africaines. Affaires et politique, diplomatie et humanitaire, géopolitique et révolutions, cet homme sillonne le continent africain depuis toujours. Né en Algérie française, il se flatte de mieux comprendre ses « frères » du continent que ses concitoyens, sans parler des élites parisiennes dont il se méfie. Mais cet « Africain blanc » qui contribua si discrètement à la fin de l'apartheid en Afrique du Sud et à la résolution de nombreux conflits en Afrique australe, n'est pas encore au rendez-vous final de la mission qu'il s'est donnée. À 75 ans, il a voulu faire le point. Fidèle en amitié et constant dans ses convictions, il n'en demeure pas moins lucide sur ce qui ne marche pas en Afrique et entre le continent noir et la France. Est-il inquiet de voir que la République junior du « en même temps » agit aujourd'hui comme si l'Afrique était née après Nelson Mandela ? Comme s'il fallait toujours tout réinventer alors que les fondations, l'expérience et le respect dû à l'âge sont des clefs essentielles du dialogue entre Paris et son ancien empire colonial. Comme il y a vingt ans, Jean-Yves Ollivier a accepté une discussion franche. De la présence chinoise à la restitution du patrimoine africain, de la querelle sur la démographie et l'immigration au débat éternel sur l'alternance démocratique face aux « dinosaures » qu'il continue de fréquenter, du complexe de Fachoda à l'afro-optimisme, Jean-Yves Ollivier se défend comme un beau diable. Avec franchise, humour et colère, ce que le débat sur l'Afrique a toujours réclamé.
F. C.


François Clemenceau - Il y a vingt ans, lors de votre dernier entretien à Politique Internationale, il était encore de bon ton de se dire afro-pessimiste. Est-ce que nous n'avons pas assisté depuis à un spectaculaire rebond ?
Jean-Yves Ollivier - Il y a vingt ans, l'Afrique comptait toujours sur l'extérieur pour décoller. C'est encore vrai aujourd'hui. Il y a vingt ans, les coopérations internationales ne s'intéressaient qu'à la santé et à l'éducation. On avait complètement oublié les infrastructures. On a construit des écoles et des hôpitaux, mais sans électricité pour les éclairer et sans routes pour y parvenir. Lorsque je suis arrivé pour la première fois en 1969 au Congo-Brazzaville, on parlait déjà d'une route entre Pointe-Noire et la capitale. Les années ont passé et dans les années 1990, la route n'était toujours pas construite, malgré de nombreuses visites de la Caisse centrale de coopération économique. En 1997, Denis Sassou N'Guesso (1) revient au pouvoir et reprend la discussion avec les Français, sans succès. Mais comme il a une vieille relation avec les Chinois, il leur exprime l'urgence de cette route. Ils lui répondent rapidement que ça coutera 150 millions de dollars et qu'elle sera prête dans …