Maurin Picard - Vous avez passé près de dix ans en poste aux États-Unis, au début et à la fin de votre carrière - une longue expérience qui fait de vous l'un des plus fins connaisseurs du fonctionnement de la démocratie américaine. Lorsque vous découvrez Washington, en 1987, Ronald Reagan entame son second mandat. Quelles surprises l'Amérique « triomphante » réserve-t-elle à un jeune diplomate français ?
Gérard Araud - J'arrive effectivement en 1987 en qualité de conseiller d'ambassade. Ronald Reagan est alors aux yeux des Européens un être un peu ridicule, connu surtout comme comédien de seconde zone à Hollywood. À la télévision, il bredouille, ne connaît pas les dossiers (1). Je me souviens notamment d'une conférence de presse sur le budget assez pitoyable. Sur le fond, cependant, il incarnait ce que les Américains recherchent : un vrai chef capable de fixer un cap. Et en politique étrangère, il a joué un rôle central dans la victoire de l'Ouest face à l'URSS dans la guerre froide.
M. P. - À l'ambassade de France, vous côtoyez un autre jeune diplomate nommé Dominique de Villepin, avec lequel vous partagez l'amour du verbe. Comment êtes-vous accueilli dans un poste aussi stratégique que Washington ?
G. A. - Outre Dominique de Villepin, il y a là des gens assez extraordinaires, avec Catherine Colonna, qui fut par la suite secrétaire d'État aux Affaires européennes, ou Salomé Zourabichvili qui deviendra présidente de la Géorgie. Il y a aussi Bernard Émié, qui est à présent directeur général de la sécurité extérieure, à la tête de la DGSE. C'était une belle équipe ! Nous avons également eu deux ambassadeurs qui sortaient du lot. Le premier, Emmanuel de Margerie (2), incarnait la diplomatie traditionnelle. Fils et petit-fils d'ambassadeur, doté d'un arbre généalogique prestigieux qui menait jusqu'à Edmond Rostand, il était un diplomate à l'ancienne, très mondain, en smoking, recevant magnifiquement. Son numéro deux m'avait dit un jour : « De toute façon, il ne fréquente que les gens de plus de soixante-dix ans et pesant plus de cinq cents millions de dollars. » Mais il serait injuste de le réduire à cette caricature ; c'était un grand professionnel. Il travaillait très bien et connaissait tout le monde. Son successeur fut l'inverse : l'ambassadeur Jacques Andréani (3), lui, ne se sentait pas toujours très à l'aise dans les cocktails mais il était humainement formidable. C'était aussi un grand professionnel. J'ai beaucoup appris à leur contact, notamment sur le fonctionnement de l'« empire américain ».
M. P. - Quelles sont vos plus grandes surprises à propos de la société américaine et de cette ville, Washington D.C., que vous décrivez parfois avec beaucoup d'acidité ?
G. A. - Nous ne savons rien, nous les Français, sur les États-Unis. Nous considérons que les Américains sont comme nous, puisque nous appartenons à la même civilisation et que nous sommes comme eux. Or, comme je l'ai toujours dit à mes jeunes diplomates, pour comprendre les États-Unis, nous devons partir non de la similitude mais …
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