La séquence qui s'est ouverte en Tunisie avec les élections législatives et présidentielle de l'automne 2019 rebat les cartes de la transition démocratique dans le pays. Huit ans après le départ des fameux printemps arabes, initié par une insurrection contre le régime en place à Tunis et la chute du président Zine el-Abidine Ben Ali, la donne a été, cette fois-ci, bouleversée dans les urnes. Le 6 octobre, d'abord, les électeurs ont congédié les principaux caciques de la scène politique en place depuis les précédentes législatives de 2014. Une semaine plus tard, ils ont plébiscité l'outsider Kaïs Saïed pour succéder à Béji Caïd Essebsi, l'un des chefs d'État en exercice les plus âgés de la planète jusqu'à sa mort le 25 juillet, à l'âge de 92 ans. Avec ces scrutins s'ouvre une nouvelle période d'incertitude, à un moment où la situation économique et sociale apparaît à court terme alarmante.
Il faut remonter quelque peu le temps pour comprendre ce « dégagisme » de l'électorat à l'égard d'un personnel politique n'ayant répondu à aucune des attentes exprimées par la jeunesse et les secteurs les plus vulnérables d'une population de près de douze millions de personnes. En 2011, les laissés-pour-compte des choix économiques effectués depuis des décennies - monde rural abandonné à lui-même, petit peuple des banlieues urbaines, classes moyennes inférieures précarisées, vite rejoints par l'opposition au régime de M. Ben Ali - avaient alors crié leur refus du clientélisme, de la corruption, des inégalités et de l'accaparement de la rente étatique par une étroite oligarchie. Les couches populaires rurales et urbaines, les premières à s'être soulevées, attendaient en outre que l'entrée du pays en démocratie leur apporte sans délai un mieux-être social dont elles étaient depuis trop longtemps privées. Or la gestion économique calamiteuse des gouvernements de la transition jusqu'en 2014, puis l'inaction des deux équipes qui se sont succédé au cours des cinq dernières années ont aggravé dans des proportions inédites la situation économique. Les plus précaires et les segments inférieurs des classes moyennes ont ainsi vu leurs conditions de vie se détériorer un peu plus.
Une situation socio-économique dégradée
De 2011 à 2014 pourtant, la question sociale avait été mise sous le boisseau au profit du volet politique et institutionnel de la transition. L'émergence au grand jour de la formation islamiste Ennahdha (1) et sa victoire aux élections à l'Assemblée constituante d'octobre 2011, ainsi que les conflits autour de la rédaction de la nouvelle Constitution avaient fait apparaître un profond clivage entre deux projets de société largement antinomiques. D'un côté, les « modernistes » réclamaient une loi fondamentale séculière qui puiserait ses références dans les principes universels de liberté et d'égalité, entre les sexes notamment. De l'autre, la mouvance islamiste et ses alliés privilégiaient un ancrage dans les valeurs religieuses et dans l'appartenance exclusive du pays à l'arabité. Certes, une Constitution de compromis avait pu être adoptée en janvier 2014 : la dimension arabo-musulmane de la Tunisie y était valorisée, en même temps que le caractère civil de l'État …
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