Politique Internationale — Comment le secteur énergétique chinois répond-il aux exigences de croissance du pays ?
État-major de CGN — La Chine vit actuellement un processus de transition. Le pays passe d’une phase de développement à grande vitesse à une autre phase tournée vers la « haute qualité ». Par conséquent, le système électrique chinois devient plus diversifié et plus propre — avec une diminution des émissions de CO2. En tant que signataire de l’accord de Paris sur le climat, Pékin entend promouvoir des projets innovants : cela se vérifie notamment dans la production d’énergie, avec des objectifs de sobriété énergétique, une politique bas carbone et des engagements de sûreté industrielle. La mise en œuvre de la limitation de la consommation de charbon ouvre des perspectives au pays : les énergies renouvelables, à commencer par l’éolien et le solaire, contribuent à une croissance durable. La production d’électricité nucléaire augmente elle aussi. Avec cet essor de l’énergie non fossile, la Chine travaille à respecter ses engagements sur le plan climatique.
P. I. — Quel est le poids du nucléaire dans les activités de CGN ?
CGN — China General Nuclear Power Group (CGN) est une entreprise spécialisée dans les énergies propres. Son objectif se veut net et précis : développer l’énergie propre afin de contribuer au bien-être de la société chinoise. D’où une politique active en faveur des énergies sans CO2 et donc plus respectueuses de l’environnement. Sur le plan opérationnel, les quatre grands domaines d’activité de CGN sont bien identifiés : l’électricité nucléaire, le combustible qui va avec, les énergies alternatives et enfin la finance. Mais l’horizon du groupe va au-delà de ces branches : CGN explore aussi de nouvelles activités liées à l’application de la technologie nucléaire à d’autres secteurs. À la fin de l’année dernière, son portefeuille d’actifs atteignait 740 milliards de yuans. Pour une capacité de production d’énergie propre de 56 gigawatts (GW), qui fait de CGN l’une des entreprises chinoises les plus importantes dans ce domaine. S’agissant du nucléaire, nous exploitons 24 réacteurs en Chine, pour une puissance totale installée de 27 GW. Parallèlement, quatre réacteurs sont en construction, soit 4,6 GW supplémentaires. Toujours dans le nucléaire, CGN développe des projets à l’étranger, en particulier en Grande-Bretagne où le groupe asiatique et son partenaire de longue date qu’est EDF travaillent conjointement sur les centrales de Hinkley Point C, Sizewell C et Bradwell B.
P. I. — Comment CGN concilie-t-il cet essor du nucléaire avec ses ambitions en matière d’énergies renouvelables ?
CGN — L’expérience acquise dans l’énergie nucléaire sert de socle à CGN pour progresser rapidement dans les énergies renouvelables. Le nucléaire et le renouvelable entrent tous deux dans la catégorie des énergies propres et, à ce titre, s’inscrivent efficacement dans le cadre de la lutte contre le changement climatique. Notre feuille de route consiste à lutter contre le réchauffement, ce qui passe à la fois par la réduction des émissions de CO2 et par des économies d’énergie. Dans les énergies vertes — solaire et éolien —, CGN est déjà implanté dans une vingtaine de pays. Sa puissance installée atteint 28,9 GW, dont 10 GW hors de Chine. Le biogaz est aussi un axe fort de notre politique en faveur du renouvelable. CGN a retenu la technologie de fermentation anaérobie qui permet de produire du gaz vert à partir de la paille et du fumier rejeté par le bétail. Après épuration et purification, on obtient du gaz naturel et des engrais organiques. Cette industrie est en plein essor en Chine. Le complexe Hebei Hengshui construit par CGN est le plus grand projet de ce type en Asie. Il est capable de produire jusqu’à 33 millions de mètres cubes de biogaz par an et jusqu’à 200 000 tonnes d’engrais bio-organique solide et liquide. Ces gaz naturels peuvent remplacer 42 000 tonnes de charbon par an, soit une réduction des émissions de dioxyde de carbone de 320 000 tonnes. Du même coup, le problème du smog causé par la combustion de la paille est aisément résolu.
P. I. — Dans un contexte énergétique mouvant, quelles sont vos orientations stratégiques pour les années à venir ?
CGN — Le secteur de l’énergie représente à la fois des défis et des opportunités. CGN en a bien conscience et veut y faire face. Avec pour ambition de devenir un groupe dédié aux énergies propres, leader mondial dans son secteur. Pour suivre ce cap, le groupe s’est fixé quatre grandes orientations stratégiques : une gestion rigoureuse, un management spécialisé, un développement international et enfin un mode de fonctionnement épousant la logique du marché. Un grand schéma industriel, baptisé « 4 + X », a été planifié puis mis en œuvre. Les capitaux ont été alloués à quatre grandes plateformes sectorielles, plus deux zones géographiques — la Chine et l’étranger. Dans le cadre de cette nouvelle configuration, les quatre principales activités — l’énergie nucléaire, le combustible, les énergies nouvelles et la finance — misent sur la coordination. En toile de fond, il y a aussi la dimension environnementale : partisans résolus de l’accord de Paris sur le climat, la Chine et la France encouragent activement les économies d’énergie et la réduction des émissions de CO2. Cela donne matière à CGN pour coopérer avec EDF à l’international, via la recherche, le développement de l’énergie nucléaire, le renforcement continu de la sûreté et le retraitement du combustible usé. À l’arrivée, la Chine et la France continuent d’apprendre l’une de l’autre. Les deux pays veulent coopérer et conduire des projets gagnant-gagnant.
P. I. — Dans le nucléaire toujours, CGN a d’importantes ambitions à l’international. Quelles sont ses principales forces sur un marché dominé par les acteurs historiques ?
CGN — CGN a démarré son activité dans le nucléaire avec la centrale de Daya Bay. Depuis, le groupe a régulièrement réaffirmé plusieurs grands principes de base : priorité à la sûreté d’une part, priorité à la qualité d’autre part, poursuite de l’excellence enfin. Dans ses activités nucléaires, CGN est guidé par cette règle du « bien faire du premier coup ». La question de la sûreté s’impose naturellement : sans sûreté nucléaire, il n’y a pas de CGN. C’est même la première préoccupation des responsables du groupe. Qu’il s’agisse du rythme des projets, des gains économiques ou encore de la disponibilité des ressources comme l’uranium, aucun de ces volets ne passe avant la sûreté. Celle-ci est la priorité de CGN. Un système de contrôle-qualité, solide et normalisé, a été établi afin d’éviter la moindre faille à chaque étape des projets. Le plus haut niveau d’exigence en matière de sûreté guide la chaîne industrielle. Il en va de même pour le cycle de vie des installations du groupe qui a étendu ces exigences à l’ensemble de ses partenaires, aux fabricants d’équipements comme aux spécialistes de la conception, de la construction, de l’exploitation et du déclassement des centrales nucléaires.
P. I. — Comment CGN peut-il garantir une gestion de projet à la fois standardisée, spécialisée et efficace ?
CGN — CGN est entré dans une nouvelle ère. Les opérations impliquant de très nombreuses unités et plusieurs groupes d’usines, un modèle de gestion spécifique a été mis en œuvre, à la fois professionnel, normalisé et intensif. Concrètement, nous nous sommes fixé trois missions : rehausser le socle des compétences à travers la spécialisation des métiers ; améliorer l’efficacité de la gestion de projet grâce à la standardisation des procédures ; et accroître les retombées économiques au moyen de synergies. Au final, l’amélioration du niveau de sûreté provient de l’efficacité globale de l’exploitation combinée à celle de la gestion de projet. Ce fonctionnement permet aux nouvelles unités de se mettre rapidement aux standards des unités « matures » — mises en service il y a plus de trois ans — en matière de sûreté. Les performances opérationnelles des six « bases nucléaires » du groupe qui structurent notre parc ont atteint un niveau élevé. Selon la World Association Nuclear Operators (Wano) qui mesure le niveau de sûreté des installations nucléaires dans le monde, les unités « matures » de CGN figurent parmi les 10 % des installations ayant obtenu la meilleure note au regard de 73,5 % des critères Wano (en 2018). Quant à nos nouvelles unités, elles comptent parmi les 25 % des installations récentes ayant obtenu la meilleure appréciation pour 78,3 % des indicateurs Wano. Cette association a fait l’éloge du système de CGN lors de plusieurs visites d’inspection. L’unité 1 de la première phase de la centrale nucléaire de Ling Ao fonctionne de manière optimale depuis plus de 4 900 jours — un record mondial par rapport aux unités du même genre dans le monde.
P. I. — Quel est l’impact de Hualong 1, la technologie nucléaire spécifique développée par CGN ?
CGN — La troisième priorité de CGN vise à renforcer les compétences scientifiques et technologiques de l’entreprise. Le groupe mise d’autant plus sur l’innovation que la concurrence fait rage dans le secteur de l’énergie nucléaire. Cette bataille concerne aussi bien les compétences techniques que la gestion de projet. Pour y faire face, il faut non seulement des mécanismes institutionnels adaptés, mais aussi des investissements suffisants. À titre indicatif, l’investissement annuel de CGN dans la recherche scientifique représente environ 4 % du résultat opérationnel. Ces dernières années, l’entreprise a développé avec succès Hualong 1, la technologie nucléaire de troisième génération, avec des droits de propriété intellectuelle indépendants. Les indicateurs techniques de Hualong 1 sont tous conformes aux normes technologiques américaines et européennes de troisième génération. Hualong 1 offre un équilibre optimal entre sûreté, maturité technologique et performance économique. Comme vous le savez peut-être, CGN a établi un système de recherche et de développement à trois niveaux (national, groupe et entreprise) ainsi qu’une alliance mondiale de l’innovation.
P. I. — La population chinoise est-elle convaincue du bien-fondé d’une stratégie nucléaire poussée ?
CGN — C’est notre quatrième priorité. À savoir la transparence et l’acceptabilité des projets. Après l’accident de Fukushima, la communication publique est devenue un défi majeur pour le développement de l’industrie nucléaire. Aussi, CGN défend une méthode transparente : non seulement les informations divulguées sont plus nombreuses, mais les outils de communication sont plus innovants de manière à gagner la confiance de la société chinoise.
P. I. — Le projet Taishan est-il un modèle en termes de coopération avec EDF ?
CGN — La première phase du projet est la plus importante coopération jamais menée entre la Chine et la France dans le domaine énergétique. L’opération est à la mesure de l’enjeu : les unités Taishan 1 et 2 sont les deux premiers réacteurs EPR au monde à être entrés en exploitation commerciale. L’expérience de CGN n’est pas un vain mot : depuis plus de trente ans, elle s’exerce de manière ininterrompue dans la construction et dans l’exploitation de centrales nucléaires. C’est un formidable atout, au même titre que la coopération stratégique entre la Chine et la France dans l’atome. Taishan a bénéficié de l’engagement d’industriels reconnus, avec un grand savoir-faire dans la conduite de projet. Le retour d’expérience de deux projets EPR pilotes en Europe a lui aussi beaucoup compté. La construction de la centrale nucléaire de Taishan revêt donc une importance majeure pour le développement de l’industrie nucléaire, à la fois en Chine et en France. Les deux unités de la première phase du projet sont un modèle de coopération sino-étrangère, dans la conception comme dans la construction. Ce modèle favorise la coopération dans le nucléaire de troisième génération. Il encourage les échanges entre les industriels chinois et français en matière de fabrication d’équipements nucléaires. Enfin, Taishan apporte des éclairages précieux pour la mise en chantier d’unités similaires, en particulier la centrale de Hinkley Point C, construite par la Chine et la France au Royaume-Uni. C’est également un modèle pour l’expansion vers d’autres marchés.
P. I. — Plus personne ne doit donc douter de la faisabilité de l’EPR ?
CGN — La construction réussie à Taishan du premier réacteur EPR au monde a prouvé la faisabilité de cette technologie. Ses avantages en termes de sûreté et de fiabilité seront démontrés tout au long de l’exploitation de la centrale. Parallèlement, grâce à la construction de ce nouveau réacteur, la coopération sino-française dans le nucléaire a été encore renforcée. Ce trait d’union entre EDF et CGN constitue un exemple à suivre pour la coopération sino-française en général. C’est vrai aussi pour la coopération sino-européenne dans son ensemble, dans le nucléaire comme dans d’autres domaines.
P. I. — Quel bilan peut-on tirer de la collaboration entre CGN et la filière nucléaire française ?
CGN — Cette année marque le 55e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la Chine et la France. La coopération sino-française dans le nucléaire repose sur quarante ans de succès. CGN et EDF, les deux principaux acteurs de cette coopération, ont commencé par construire Daya Bay, qui fut la première centrale nucléaire de Chine continentale. Elle affiche une capacité de 1 GW pour un investissement total de 4 milliards de dollars. Il s’agit du plus grand projet de co-entreprise sino-étrangère jamais lancé dans notre pays. Il l’a été au début de la politique d’ouverture de la Chine, dont Daya Bay est l’une des illustrations les plus marquantes. Cette réussite en a appelé d’autres : dans les années 1990, CGN a poursuivi la coopération avec la France pour construire la centrale de Ling Ao. À cette occasion, la production d’électricité nucléaire en Chine a fait un bond conséquent.
P. I. — Quelles sont les dernières étapes de la coopération entre la Chine et EDF ?
CGN — Au XXIe siècle, CGN et EDF se sont associés à nouveau pour construire la centrale nucléaire de Taishan. Puis en octobre 2015, un chapitre supplémentaire de la coopération s’est ouvert : en présence du président Xi Jinping et du premier ministre britannique de l’époque, James Cameron, CGN a signé un accord avec EDF pour développer trois grands projets nucléaires au Royaume-Uni et se projeter, main dans la main, vers d’autres marchés. En Grande-Bretagne, les centrales de Hinkley Point C et de Sizewell C utiliseront la technologie française EPR. Avec EDF comme chef de file et CGN comme partenaire. À l’inverse, la centrale Bradwell B fera appel à technologie nucléaire chinoise de troisième génération Hualong n° 1 : cette fois, CGN sera pilote avec EDF à ses côtés. CGN coopère avec la France depuis quarante ans : autant dire que la relation de confiance est solide.
P. I. — Dans le domaine de l’innovation, quelles sont les dernières avancées les plus significatives chez CGN ?
CGN — CGN a développé une technologie de traitement des déchets dangereux et solides par plasma. Le but consiste à décomposer rapidement les polluants organiques, tels que les dioxines, en petites molécules inoffensives, et à solidifier les polluants inorganiques comme les métaux lourds par vitrification. Cette technologie permet de réduire les quantités de déchets solides, de les rendre sans danger, de les stabiliser et de les réutiliser. Elle ouvre aussi une nouvelle voie pour le traitement des déchets des autres secteurs : déchets médicaux, ménagers, électroniques, boues de métaux lourds, déchets d’huile minérale, sans oublier les déchets hautement toxiques et potentiellement dangereux. Dans une veine similaire, CGN et l’université chinoise de Tsinghua ont développé conjointement une technologie de traitement des eaux usées industrielles par faisceau d’électrons. Celle-ci permet d’éliminer efficacement les polluants qui sont difficiles à traiter par des moyens conventionnels. Tout cela montre que CGN est devenu une entreprise de haute technologie capable de se développer de manière indépendante au lieu de s’appuyer sur les importations de technologies comme auparavant.